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Quel premier secrétaire pour le Parti socialiste ? par Pierre Haroche



A l’approche du prochain congrès du parti socialiste, un certain nombre de critiques traditionnelles à l’encontre du fonctionnement interne du parti refleurissent dans les discours de tous les bords. Devant les militants, la dénonciation des maux chroniques censés miner le parti est en effet devenue un outil rhétorique incontournable.


Un premier type de critique classique vise l’excès des ambitions personnelles qui tendraient à éliminer le débat d’idées et à « caporaliser » le parti derrière un chef. C’est aujourd’hui la position des « reconstructeurs » qui refusent que le congrès se transforme en duel des « présidentiables » désignés par les sondages d’opinion, Bertrand Delanoë et Ségolène Royal, et en appellent à l’élaboration d’une « offre politique » préalablement à la désignation d’un candidat.

De l’autre côté, un second type de critique non moins classique s’en prend quant à lui au jeu des courants qui tendrait à miner l’unité du parti au profit d’intérêts particuliers, transformerait les congrès en grands marchandages de postes et ferait émerger des premiers secrétaires de compromis, inaptes à fixer une orientation politique claire en vue de l’élection présidentielle. Cette argumentation est souvent revenue chez les partisans de Ségolène Royal qui a émergé dans le cadre d’une stratégie de rupture à l’égard des courants.

L’erreur serait de prendre ces critiques au premier degré et d’en déduire que le parti socialiste souffrirait effectivement de l’ambition démesurée des uns ou de l’esprit de faction des autres, voire des deux à la fois. L’ambition personnelle et la compétition entre courants sont en effet des moteurs indispensables au débat démocratique, aussi bien à l’échelle d’un parti qu’au niveau d’un Etat. Ce que révèle l’opposition de ces deux discours, c’est en fait l’ambiguïté fondamentale d’un système où deux principes de légitimité opposés se retrouvent en conflit.

Le régime de la IVe République a également généré en son temps une opposition semblable, exprimée pratiquement dans les mêmes termes. D’un côté les défenseurs de la suprématie de l’Assemblée pointaient du doigt le risque d’une tyrannie personnelle à la tête de l’exécutif. Cette critique visa d’abord Pierre Mendès-France, lorsqu’il tenta d’exercer en 1954-55 une présidence du Conseil forte, notamment en communiquant directement par la radio avec l’opinion publique sans passer par le Parlement, puis bien sûr le général De Gaulle et ses réformes constitutionnelles à partir de 1958. De l’autre côté, les opposants au régime, au premier rang desquels étaient les gaullistes, critiquaient avec non moins de véhémence le « régime des partis », ses combinaisons ministérielles de circonstance et ses présidents du Conseil trop faibles pour affronter les problèmes de la France.

Au-delà de la violence des accusations des deux côtés, cette opposition révèle la transition d’un régime entre une légitimité issue exclusivement de l’Assemblée et une légitimité issue directement du peuple et de l’opinion publique, l’aboutissement de cette dernière logique étant l’élection du président de la République au suffrage universel direct à partir de 1962.

Appliquons à présent cette grille de lecture au PS d’aujourd’hui. Dans un contexte où la base des adhérents tend à se resserrer autour d’un noyau de professionnels et d’élus, un congrès a toutes les chances de faire émerger un premier secrétaire issu d’un accords entre courants et s’appuyant sur une distribution de postes savamment dosée. A François Hollande, qui fut typiquement un premier secrétaire de compromis, pourrait ainsi succéder Martine Aubry, dont la candidature s’inscrit dans la même logique.

Or, si ce système aurait été parfait sous la IVe République qui favorisait elle-même à sa tête des leaders de compromis, il semble totalement anachronique dans le contexte d’une Ve République structurée par la logique majoritaire et la désignation directe du président de la République. La légitimité issue du compromis interne est donc fatalement en conflit avec la légitimité des présidentiables, issue de l’extérieur, de l’opinion publique. Il est ainsi tout à fait symptomatique que François Mitterrand, qui n’était pas issu de la SFIO, ait conquis la famille socialiste de l’extérieur, essentiellement grâce à une légitimité acquise lors l’élection présidentielle de 1965. Suivant cette logique, que tente aujourd’hui de reproduire Ségolène Royal, ce ne sont pas les institutions du parti qui produisent des candidats à l’élection présidentielle, mais l’élection présidentielle qui fournit des premiers secrétaires au parti.

La droite n’offre d’ailleurs pas un modèle plus satisfaisant puisque le parti n’y joue pratiquement aucun rôle dans la sélection des candidats à la présidentielle. Soit il n’y a qu’un seul candidat qui s’impose, soit le parti se divise comme en 1995. Le RPR et l’UMP n’ont été jusqu’à présent que des machines à conquérir le pouvoir, mais certainement pas des foyers de débat démocratique, celui-ci étant repoussé au dehors des institutions du parti. Le fait que Sarkozy, une fois élu à la présidence de la République se soit empressé de supprimer le poste de président de l’UMP est tout à fait révélateur : le parti n’est ici qu’un instrument.

L’enjeu fondamental auquel le parti socialiste doit répondre aujourd’hui n’est donc pas le choix entre la désignation d’un candidat et l’élaboration d’un programme. Ce sont là deux facettes d’une même monnaie : la construction d’une offre politique ne peut être déconnectée du choix du candidat qui devra l’incarner. Il s’agit bien plutôt de construire une articulation efficace entre les institutions du parti et l’élection présidentielle qui permette d’en finir avec les conflits de légitimité perpétuels. Des progrès ont été faits dans ce sens puisque des congrès seront désormais organisés à la veille des élections présidentielles et désigneront en même temps le candidat et le premier secrétaire. Cependant, dans les périodes d’opposition comme aujourd’hui, où les élections présidentielles sont encore lointaines, l’ambigüité demeure totale sur le rôle du premier secrétaire.

Lors de la dernière campagne présidentielle, certains avaient défendu l’idée d’une primaire ouverte, « à l’italienne », c'est-à-dire élargie à l’ensemble des sympathisants et non aux seuls adhérents. L’argument était que de telles primaires constituaient la meilleure préparation et la meilleure source de légitimité pour un candidat à l’élection présidentielle. En allant plus loin, cette idée pourrait être appliquée à la désignation du premier secrétaire qui réunifierait alors automatiquement direction administrative et direction politique du parti, constituerait un puissant chef de l’opposition et naturellement un présidentiable tout désigné.

Loin de « caporaliser » le parti, la désignation du premier secrétaire par un suffrage populaire élargi replacerait le parti au cœur de l’élaboration d’un programme présidentiel. Loin d’entretenir la « guerre des chefs », elle la trancherait par un arbitrage clair et légitime. Cette avancée serait salutaire non seulement pour le PS mais aussi pour la démocratie française car elle lui offrirait un parti capable de bâtir une continuité dynamique et démocratique entre une opposition constructive et une conquête efficace pouvoir.



Pierre Haroche

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