Changer la gauche

Sidebar
Menu

"Les entreprises comme lieux d'émancipation", nouvelle Contribution



Nous avons le plaisir de vous annoncer la publication d'une nouvelle Contribution du Club Changer la gauche: Les entreprises comme lieux d'émancipation (télécharger en PDF).

Le débat public sur les politiques à mener vis-à-vis des entreprises a été concentré par la droite autour d’une idée simple: la gauche serait l’ennemi de “l’entreprise”. Face à cette rhétorique, les réactions ont paru pour le moins timides. Mal à l’aise sur la question, la gauche n’a pas su convaincre sur un thème qui implique pourtant l’essentiel du tissu économique du pays.

La raison réside dans l’apparente contradiction qui existe entre défense des intérêts des salariés et de ceux des entrepreneurs. Beaucoup ont associé la volonté d’encourager les entreprises à la tentation de renier les valeurs d’égalité et de solidarité. Or il n’y a aucune contradiction à promouvoir les intérêts des entreprises si les mesures adoptées sont destinées à en faire des lieux d’émancipation.

Notre objectif doit donc être d’orienter la liberté d’entreprendre vers la prise en compte des intérêts des salariés, des employés potentiels et des entrepreneurs futurs. Trois propositions sont ici à l’étude :

- La création d’un service public des entreprises. Il devrait permettre de coordonner les efforts à engager à tous les stades de la vie des entreprises. Ses missions doivent se concentrer sur la démocratisation des créations, l’appui des stratégies de croissance externe et l’anticipation des difficultés d’exploitation.

- L’élaboration d’un
système de formation professionnelle au service des actifs. L’objectif est de garantir aux salariés que leur emploi ne dépende pas d’une seule entreprise et d’un seul poste. Nous proposons notamment la mise en place d’un guichet unique, d’une approche personnalisée sous la forme de bilan individuel et une refonte du mode de financement.

- L’instauration d’un suffrage universel des salariés. Cette disposition, volontairement indifférenciée, s’ajouterait aux instances représentatives du personnel. Elle a notamment vocation à créer les conditions d’une repolitisation des rapports de production.

Bonne lecture!


“Bien entendu, on peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant l’entreprise ! L’entreprise ! L’entreprise ! Mais cela n’aboutit à rien et cela ne signifie rien“. Voilà ce que l’on pourrait reprocher au discours que la droite tient sur “l’entreprise“ depuis de longues années.
Le terme, employé au singulier, a été accaparé par une rhétorique soucieuse d’unifier une classe d’entrepreneurs supposée partager les mêmes intérêts. Or, il n’est rien de plus faux que cette catégorisation bancale, qui range côte à côte PDG de multinationales et buralistes, agriculteurs et patrons de start-ups. La gauche doit dénoncer cette vision globalisante et proposer un discours qui bouscule les termes d’un débat outrageusement réducteur. Deux préalables sont nécessaires.
Il est indispensable de s’écarter d’une vision de gauche qui associe mécaniquement les entreprises à un lieu de contrainte et de rapport de force. Loin de nier la dureté des conditions de travail, la gauche doit affirmer que les entreprises peuvent devenir des lieux d’émancipation.
De ce changement profond du cadre d’analyse doit découler l’abandon d’une approche strictement quantitative des propositions politiques en la matière. Opposons-nous vigoureusement à la droite qui se borne à proposer encore et toujours les mêmes recettes : allégement des charges et démantèlement du droit travail. Ces politiques ont démontré leur inefficacité à résoudre les difficultés structurelles des PME françaises. Il faut donc concentrer l’intervention publique dans les seuls domaines où elle s’impose, et réorienter les crédits destinés aux exonérations en tout genre vers des modes d’action plus efficaces.
Dans cette perspective, il convient aujourd’hui de prendre nos distances avec un objectif prôné historiquement par la gauche, et qui n’est pas extensible à l’infini : la réduction du temps de travail. L’erreur a été de laisser penser qu’il s’agissait d’une finalité en elle-même, négligeant par là-même la question plus fondamentale de l’émancipation des salariés et des entrepreneurs.
Notre démarche repose sur l’idée que les entreprises ne représentent pas uniquement la poursuite d’intérêts particuliers, mais que l’intérêt général est concerné au tout premier chef. L’intervention publique doit donc se concentrer sur les domaines les plus susceptibles de profiter à la collectivité tout entière : emploi, innovation et formation.
Nous exposerons ici trois propositions qui incarnent l’objectif d’émancipation des salariés et des entrepreneurs : la création d’un service public des entreprises, l’élaboration d’un système de formation professionnelle au service des actifs, et l’instauration d’un suffrage universel des salariés.

1- Pour un service public des entreprises

Cette proposition est fondée sur la conviction que la notion de service public est plus que jamais adaptée à la réalité sociale et économique de notre pays. Le contexte actuel requiert la définition de missions d’intérêt général assumées par la puissance publique et détachées des règles applicables aux activités marchandes.

*Qu’entendre par le SPE ?

Par service public des entreprises il ne s’agit pas d’entendre une structure administrative à laquelle serait détaché un corps de fonctionnaires en charge d’assister les entreprises pour telle ou telle tâche. Mais reconnaissons que le fonctionnement normal du marché ne parvient pas à vaincre les difficultés structurelles que connaissent les PME françaises depuis les années 1980.
Le périmètre du service public des entreprises doit donc être appréhendé à partir d’un triple constat : 70% des entrepreneurs sont des fils d’entrepreneurs, les PME ont de grandes difficultés à accroître leur taille, et un certain nombre d’entreprises voient leur activité menacée pour des raisons strictement conjoncturelles.
Certains mécanismes ont été mis en place afin de pallier ces défaillances. On peut, à ce titre, évoquer la création de l’établissement public OSEO ou la mise en place de systèmes d’aide à l’exportation. La faille procède de leur extrême parcellisation et de l’absence d’un
dispositif global, seul susceptible de développer une stratégie politique cohérente vis-à-vis des entreprises. C’est dans une démarche générale que doit s’inscrire l’intervention publique : encouragement à la création, à l’investissement et au refinancement.
Quels que soient les leviers d’action du service public des entreprises, les effets d’aubaine doivent être limités au maximum. C’est pourquoi
l’élaboration des objectifs et la détermination des priorités doivent être assurées selon les missions par l’Etat ou les collectivités territoriales, sur une base sociale.
Il est également nécessaire d’encourager des projets ou des entreprises qui disposent d’une certaine viabilité économique. C’est pourquoi il convient
d’associer étroitement l’ensemble des acteurs qui entourent la vie des entreprises : chambres de commerce et d’industrie, établissements de crédit, professions juridiques et comptables. Les missions du SPE seraient donc les suivantes.

*Démocratiser la création d’entreprises

La droite justifie les mesures de régression sociale qu’elle adopte depuis 2002 par la volonté de constituer “une France d’entrepreneurs“. Elle entretient autour de cette idée une mythologie associant la création d’une entreprise à la manifestation la plus aboutie de la liberté individuelle. Qu’en est-il en réalité ? Les grands patrons sont fils de grands patrons, les petits patrons sont fils d’indépendants ou d’anciens employés qui se sont mis à leur compte. Curieux paradoxe que de tenir un discours aussi volontariste et de se satisfaire d’une telle inégalité sociale. L’une des priorités du service public est donc de permettre une véritable démocratisation de la création d’entreprises.
Par analogie, la raison fondamentale de cette reproduction sociale se fonde sur des différences de “
software“ –réseaux, informations, capital social, connaissance des marchés– plus que de “hardware“ –capital humain et physique.
L’une des premières missions du service public des entreprises est donc de
mutualiser les ressources des créateurs : études de marchés, réseaux de relations pour partie informels, locaux, garanties financières, prêts à taux préférentiels.
La deuxième, plus ambitieuse, consiste à
s’attaquer à la barrière psychologique qui alimente en grande partie les inégalités sociales face à la création d’entreprises. Il s’agit donc de mettre au point des mécanismes qui incitent les jeunes les moins favorisés à entreprendre. Des programmes de sélection de projets de fin d’études existent dans les grandes écoles de commerce. Pourquoi ne pas transposer ces dispositifs aux filières techniques telles que les IUT ou les bac professionnels ? Il est, de surcroît, parfaitement envisageable de créer dans les universités des formations dans lesquelles les étudiants seraient évalués sur leur capacité à élaborer un projet d’entreprise et dont les meilleurs pourraient être financés par le service public.

*Appuyer des stratégies de croissance

Ce qui est valable au stade de la création des entreprises l’est également en grande partie au stade de leur développement
Ainsi, l’un des moyens d’apporter une réponse à la difficulté majeure des entreprises à accroître leur taille serait une
meilleure allocation de l’information.
Quelle que soit l'issue du pari initial de l’entrepreneur –le succès de l'entreprise, son expansion, ou sa faillite– ce dernier est susceptible de contribuer à une meilleure connaissance des marchés par l’ensemble du monde économique. La remarque est particulièrement pertinente en matière d’exportations, terrain sur lequel la situation de la France apparaît de plus en plus préoccupante.
Ainsi, à la suite du succès d'une entreprise pionnière, les entreprises du même secteur, puis d'autres secteurs par la suite, se lanceront plus aisément sur un marché étranger identique. L’information est ici un exemple typique de bien public. Toute politique envers les entreprises qui vise non pas à aider une entreprise en particulier, mais à aider le tissu économique pour améliorer l'emploi efficace des ressources, doit donc s’attacher à
mettre l'information privée que les entreprises acquièrent chaque jour à la disposition du plus grand nombre, tout en rémunérant l'effort qui est à l'origine de cette création d'information.
Plus concrètement, le service public de l’entreprise aurait la charge de créer des mécanismes par lesquels les acteurs privés soient incités à acquérir ces informations et à les partager avec leur future relève. Ainsi, des aides à l’exportation pourraient être conditionnées à la participation à des programmes de parrainage, à la multiplication des pépinières d’entreprises, qui, en réunissant différentes réalités sur un même site, permettent aux pairs de transmettre leur savoir.

*Anticiper des difficultés d’adaptation

Le service public des entreprises doit également renfermer une visée préventive. L’objectif est d’éviter que des difficultés conjoncturelles d’exploitation menacent la vie d’une entreprise dont le projet dispose pourtant d’une viabilité économique à moyen terme.
A la lecture strictement comptable de la plupart des établissements de crédit doit s’opposer une lecture plus globale de la situation de l’entreprise par le service public. Ainsi son rôle n’est en aucun cas de se substituer aux banques mais d’effectuer une mission de conseil aux PME qui ne disposent pas des ressources permettant d’anticiper certaines difficultés.
Si ces démarches n’ont pas suffit, il est parfaitement envisageable qu’à la suite du refus des banques de soutenir certaines entreprises, le service public finance sur des critères objectivement et préalablement établis et pour une durée limitée la continuité d’exploitation de l’entreprise.
Ce mécanisme pourrait se substituer à la multitude des systèmes d’aides actuels qui multiplient les gaspillages et les effets d’aubaine. A ce titre la création du service public aurait le mérite de
coordonner l’ensemble des dispositifs sectoriels, qu’ils proviennent de l’Etat ou des collectivités territoriales. Il aurait également vocation à associer très étroitement les acteurs privés qui disposent des meilleures informations à propos des marchés potentiellement dynamiques.

2- Emanciper par la formation

Penser l’entreprise comme un lieu d’émancipation revient à envisager le pouvoir du salarié –plus largement, celui du travailleur actif. Comment lui offrir les outils qui lui permettent de contrôler effectivement son travail et son parcours professionnel ? Comment lui éviter d’être aliéné par un rapport de force largement favorable à l’employeur ? Nous devons modifier notre manière d’aborder ces questions.

*Des droits du salarié aux pouvoirs du travailleur actif

A ce problème, la réponse traditionnelle, que l’on peut qualifier de “social-démocrate classique“ a longtemps été pour la gauche européenne de promouvoir des droits et des protections attachés au salarié (et non à l’actif) dans son entreprise. Via le code du travail ou par la négociation collective, le salarié s’est ainsi vu accordé toute une série d’acquis sociaux allant de la protection contre les licenciements à la limitation du temps de travail, voire en Allemagne à une véritable cogestion de l’entreprise. Triomphant dans les années 60, ce modèle est pourtant rapidement entré en crise. En effet, la montée du chômage et la multiplication des contrats précaires ont exclus de fait une grande partie des actifs de ces protections, essentiellement réservées aux bénéficiaires d’un contrat à durée indéterminée (CDI). Plus généralement, dans un contexte de mobilité professionnelle accrue, des avantages attachés au contrat de travail sont de moins en moins aptes à garantir le pouvoir du travailleur actif, et peuvent même lui nuire en rendant son embauche plus difficile.
Face à la crise de ce premier modèle, la réponse aujourd’hui à la mode, que l’on peut qualifier de
“nordique“ consiste à moins protéger l’emploi du salarié mais à davantage protéger le parcours professionnel de l’actif afin de favoriser sa mobilité, notamment via de généreuses indemnités chômage. Dans un monde flexible, le pouvoir du salarié ne provient donc plus directement des avantages garantis par son contrat mais découle de sa capacité à mettre les entreprises en concurrence et à changer d’employeur lorsqu’il n’est pas satisfait. Ce modèle inspire aussi bien la CGT qui a importé en France l’idée de “sécurité sociale professionnelle“ que le MEDEF qui promeut le travailleur “entrepreneur de lui-même“, faisant fructifier son capital humain d’une entreprise à l’autre.
Ce dernier modèle pose cependant un problème fondamental : très peu de travailleurs actifs peuvent s’offrir le luxe de mettre leurs employeurs potentiels en concurrence ou de démissionner pour trouver une meilleure situation ailleurs. C’est, en fait, le privilège d’une petite élite de travailleurs à haute valeur ajoutée : cadres dirigeants, chercheurs et ingénieurs de haut niveau, artistes… Pour la grande majorité la mobilité est plus souvent une contrainte qu’un choix. La sécurisation des parcours professionnels peut certes adoucir cette contrainte, notamment en garantissant des indemnités chômage assez élevées, mais elle ne la transforme pas pour autant en un pouvoir positif au service du travailleur actif.
C’est pourquoi, la deuxième grande proposition que nous défendons ici se présente à la fois comme un compromis et un dépassement des deux modèles décrits ci-dessus. Nous proposons ainsi une
réforme en profondeur de notre dispositif de formation professionnelle. Mis au service du travailleur actif, le nouveau système devra favoriser aussi bien son employabilité que sa promotion interne ou sa mobilité et, en cas de difficulté, aider à anticiper sa reconversion. En agissant sur la formation professionnelle, on évitera en outre d’alourdir les conditions d’embauche et on ne réservera pas non plus l’émancipation aux travailleurs a priori les plus à l’aise avec la mobilité professionnelle.
En bref, il s’agit de promouvoir l’émancipation du travailleur actif par une prise en charge personnalisée de ses besoins en formation, et ce quelle que soit sa situation (employé ou chômeur) et quelle que soit sa capacité de mobilité. Afin d’atteindre ces objectifs ambitieux, le système doit être repensé intégralement.

*Placer la formation professionnelle au service des actifs

Aujourd’hui, en France, la formation professionnelle est structurée suivant des systèmes totalement différents en fonction du statut des travailleurs concernés. D’une part, la formation des salariés est prise en charge par les entreprises. Celles-ci ont l’obligation d’y consacrer entre 0,55% de leur masse salariale pour celles qui comptent moins de 10 salariés, et 1,6% pour celles au-delà de 20 salariés. Cette manne est gérée par des organismes paritaires par branche qui financent des organismes de formation. La formation professionnelle des chômeurs, quant à elle, est assurée soit par l’UNEDIC, s’il s’agit de chômeurs indemnisés, soit par l’Etat et les régions pour les chômeurs non-indemnisés.
Le problème de ce système éclaté est qu’il ne permet d’appliquer aucune stratégie globale à la formation professionnelle et pousse à une distribution totalement irrationnelle des moyens de formation. Les études le montrent : les dépenses de formation professionnelle sont attribuées en priorité aux salariés les mieux qualifiés et les mieux rémunérés, travaillant dans les plus grandes entreprises. Par ailleurs, la plus grande partie de l’offre de formation s’apparente à un saupoudrage totalement inefficace alors que seules des formations longues et intensives ont un impact réel sur le parcours des personnes concernées. Néanmoins, les employeurs continuent d'y envoyer leurs salariés, simplement pour remplir leur obligation légale.
Le système est donc injuste, coûteux et inefficace.
Pour répondre à ce problème nous proposons la mise en place d’un guichet unique de la formation professionnelle sur le modèle du guichet unique de l’emploi, voire associé à ce dernier. Cet organisme aura pour mission de répondre aux besoins de formation de la population active en général, qu’il s’agisse de salariés ou de chômeurs. Il s’agira alors de concentrer massivement les moyens sur les populations qui en ont le plus besoin, notamment via des formations longues, strictement évaluées quant à leurs résultats.
L’approche devra ainsi être personnalisée, sous la forme de bilans individuels prenant en compte les principaux indicateurs objectifs de l’employabilité : âge, sexe, formation initiale, diplômes, expérience professionnelle et secteur d’activité. Ce bilan permettra de cibler puis de sensibiliser, voire d’inciter financièrement les populations prioritaires car les personnes les moins formées sont aussi souvent celles qui réclament le moins de formation professionnelle. L’accent pourra être mis en particulier sur l’offre de formation en anticipation de situations de chômage ou de reconversion, notamment dans les secteurs en perte de vitesse, ce que les entreprises ne font absolument pas aujourd’hui. Une telle perspective à long terme, centrée sur la personne du travailleur actif serait bien préférable à une situation actuelle où la question de la reconversion est souvent posée quand il est déjà trop tard.
Enfin, pour ce qui est du financement, nous souscrivons à la proposition déjà formulée par le rapport Cahuc et Zylberberg de
substituer des subventions publiques à l’obligation actuelle pour les entreprises de satisfaire un seuil minimal de dépenses affectée à la formation professionnelle. En effet ce seuil obligatoire a l’effet pervers d’inciter les entreprises à dépenser juste ce qu’il faut pour être en règle, sans tenir compte de la qualité des formations, ni de l’intérêt qu’il pourrait y avoir à dépenser au-delà du seuil. Ces subventions seront attribuables aussi bien aux employeurs qu’aux travailleurs actifs concernés, en fonction de leurs investissements dans le domaine de la formation. Nous proposons en outre qu’elles soient échelonnées en fonction des bilans individuels. Elles pourraient ainsi aller de la simple incitation pour le salarié déjà bien formé dans lequel l’entreprise a de toute façon intérêt à investir, à la prise en charge intégrale dans le cas de chômeurs peu qualifiés ou de salariés nécessitant une reconversion complète.

3- Donner une voix à chaque salarié

L'entreprise comme lieu d'émancipation doit aussi être un lieu de démocratie. À l'heure actuelle, la faiblesse structurelle du syndicalisme, alliée à des organisations du travail toujours plus contraintes par une exigence unique de profitabilité, aboutissent à ce que la voix des salariés soit très peu entendue.
Les dispositifs de participation des salariés aux décisions qui les touchent dans l'entreprise sont rares et, le plus souvent, inopérants. On ne peut en tout état de cause s'en remettre à la bonne volonté des employeurs, pour construire au sein des entreprises les instruments à travers lesquels leurs salariés pèseront sur ces décisions.
De même, les obligations légales de représentation du personnel au sein des entreprises s'avèrent insuffisantes dans bien des cas. En premier lieu, parce qu'elles ne s'appliquent pas à l'intégralité des entreprises françaises. Un établissement de moins de cinquante salariés n'a pas nécessairement de Comité d'Etablissement, ni de Comité Hygiène, Sécurité et Conditions de Travail. En second lieu, l'organisation très centralisée de la négociation collective, ainsi que la présomption de représentativité accordée à cinq centrales syndicales, conduit souvent à un décalage entre les échelles fédérale et confédérale de représentation syndicale, et un “terrain“ délaissé. Enfin, les niveaux élevés du chômage, le dualisme du marché du travail et l'augmentation du nombre de contrats précaires, pèsent directement, dans de très nombreux établissements, sur la possibilité (ou plutôt l'impossibilité) de constituer des sections syndicales.
Pour pallier ces difficultés, sans pour autant proposer une refonte totale du paysage syndical français –dont l'autonomie doit être respectée par le politique– nous proposons une mesure radicale, s'appliquant à l'ensemble des établissements :
organiser chaque année un vote au suffrage universel de tous les salariés, sur le bilan et les orientations de l'entreprise.
Ce vote devra concerner tous les travailleurs de chaque entreprise, depuis les stagiaires et apprentis jusqu'aux salariés dont la carrière est très liée à l'entreprise en question. La direction de l'entreprise devra leur remettre un document, comparable au bilan social, mais qui présente également les orientations pour l'année à venir en matière de stratégie économique, d'organisation du travail et de gestion des ressources humaines. À l'heure actuelle, les Comités d'Etablissement –là où ils existent– se prononcent sur les décisions majeures de l'entreprise en ces matières. Notre proposition ne vise pas à le déposséder de son rôle, mais plutôt à donner une extension plus large à cette prérogative, à la fois avec un périmètre étendu, et en y faisant participer directement tous les salariés.
On peut imaginer qu'une telle obligation, remplie par toutes les entreprises, prêtera parfois à de légitimes critiques sur l'embellissement des perspectives économiques annoncées, ou encore la partialité d'une information sur les recrutements, délivrée uniquement par les directions. Mais nous faisons le pari qu'il y a là une incitation à la politisation “par le bas“ de la vie de l'entreprise, et à ce que les salariés s'en emparent au-delà du moment de ce vote.
Il ne s'agit pas de passer outre les représentants du personnel –là où ils existent– mais de contribuer à relégitimer leur action, et de les forcer à ne pas délaisser le militantisme syndical de proximité, dans tous les secteurs à la fois. Former les salariés à décrypter la communication d'entreprise, à connaître leurs droits, à faire valoir collectivement leurs intérêts, ne sera qu’encouragé par le suffrage universel des salariés.




Derniers commentaires