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Les chemins de l'enfer, par Matthieu Niango



Les médias ne sont plus libres en France : on ne tremble plus en l'écrivant car tout le monde le sait. Pseudopodes des grands groupes économiques, les journaux, la radio et la télévision, après avoir été muselés par les barons du monde de l'argent, l'ont été par ceux de la droite au pouvoir, en qui les premiers ont trouvé leur maître. On sait tout désormais des variations sur les amusements de la Cour, ou sur ses malheurs commandés, destinés à détourner l'attention des Français des vrais problèmes. Quant à la presse d'opposition, elle n'est plus que l'ombre d'elle-même. Et Philippe Val, comme il était en lice pour devenir le patron de France Inter, d'avoir apporté à son possible protecteur la tête de Siné sur un plateau pour avoir critiqué le Prince...


On a pu également souligner toute l'adresse d'un gouvernement qui parvient parfois à insuffler le sentiment de scandale à l'opinion, quand, précisément, la presse fait œuvre utile, en dénonçant les manipulations du pouvoir. Le président et sa suite épousent les traits de l'indignation face à des journalistes qui ont le front de leur échapper. Afin de ne pas se salir les main, ils montent alors la foule contre eux.

On a pu notamment souligner la maestria du sarkozysme d'opinion après qu'un superbe article de
Paris Match, daté de septembre 2008, avait relaté dans tous ses détails les véritables circonstances de l'attaque des soldats français en Afghanistan. Tout le monde poussa les hauts cris, entraîné par le ministre de la Défense Hervé Morin, face aux photos des talibans qui arboraient les montres et les chaînettes des Français morts au front...sans lire ici, comme il aurait fallu, une dénonciation des conditions d'action de ces jeunes gens sous-équipés et mal encadrés que l'armée venait d'envoyer à la mort. O ! Pays des libertés ! Où la presse est, selon Reporters sans frontières, classée 43ème sur 150 pour ce qui est de l'indépendance, juste derrière le Surinam et la Guyana !

De façon plus générale, la droite a bien travaillé pour rendre toute fictive la liberté d'expression. Formellement préservée, elle se heurte en réalité à l'impossibilité de dire du mal de ceux qui tiennent l'accès aux canaux de diffusion, canaux sans lesquelles une telle liberté demeure lettre morte. Parlez de ce que vous voulez devant votre télévision, commentez de la façon la plus acerbe le journal que vous lisez, ou votre livre de chevet, ou ce que le Monsieur dit à la radio ; mais ne comptez pas trop accéder à l'autre côté du mur qui vous renvoie le son de vos propres critiques...

Il faudra bien que la gauche, une fois revenue aux affaires, mette bon ordre dans ces collusions malsaines, en assurant l'indépendance des médias vis-à-vis du pouvoir politique et du pouvoir économique. Mais, pour l'heure, peut-on affirmer que l'opposition favorise réellement la liberté de dire ce que l'on veut ? A-t-elle toujours bien fait entendre la voix du parler franc quand une chappe de plomb descendait sur la plupart des langues ?

Comme elle n'a pas vraiment accès aux médias, la gauche, entendue au sens large, se rabat sur la loi. Que Zémour parle en termes déplaisants des Noirs et des Arabes, qu'un imbécile chanteur de rap déverse en des vers malhabiles toutes sa haine des femmes, que Nadine Morano s'en prenne aux jeunes aux casquettes à l'envers, et voici qu'on dégaine, chez SOS racisme, chez la Halde (avide de ce genre de mouvements), ou simplement chacun pour soi, toute l'artillerie des tribunaux.

Que tous ceux-là aient tort, qu'il tiennent des propos condamnables, oui, on l'accorde, mais pas condamnables par la loi. Il faut s'élever contre la volonté de faire correspondre les limites de l'illégal et du déplaisant. Je n'aime pas trop ce qu'il dit. Monsieur le juge, faite-le taire, s'il vous plait. C'est alors qu'on terrorise au lieu de raisonner. Et par là on amolit la démocratie, qui se nourrit de tensions et de débats entre des gens qui ne sont pas d'accord.

Ajoutons à cela qu'il faut préfèrer des discriminations bruyantes à des discriminations silencieuses. Si j'entends un chef d'entreprise affirmer l'inégalité des races à la télévision, je le laisse parler, et l'attends au tournant. Si ensuite les plaintes pour discriminations d'un salarié s'élèvent contre ce chef d'entreprise, les propos de ce dernier feront écho à ses actes, et c'est plus facilement qu'il sera, alors, mais seulement alors, condamné.

On saisit mieux toute l'urgence qu'il y a à créer et préserver un véritable espace de débat indépendant, où chacun puisse répondre à chacun. Si un tel monde existait, aucun micro ne serait tendu en direction d'Eric Zemmour. Il n'aurait plus dès lors qu'à croupir dans le cachot obscur de sa bêtise. Si tout le monde avait un droit égal à la parole public, le visage de Vidal-Naquet serait aussi connu que celui de Le Pen. Le problème du négationnisme, du racisme en parole, ou encore, du discours machiste n'est pas et ne doit pas être un problème légal, mais bien éditorial. A tout le moins faut-il qu'on puisse répondre et humilier les imbéciles qui s'y vautrent à longueur d'antenne, et auxquels on a la tentation funeste d'opposer aujourd'hui, nous autres victimes du sarkozysme, la force de la loi.

Il ne suffit pas d'être bien intentionné pour ne pas asservir les hommes. On se souvient que ce sont les lois Gayssot de 1990 qui ont mis le feu aux poudres des lois mémorielles, en rendant possible la poursuite de quiconque remettrait en cause la version officielle de l'Histoire. Le Parlement devait dicter ses lois à l'homme de science. Galilée se remua dans sa tombe. S'ouvrit une période qui connut son point d'orgue en 2005, quand on voulut nous faire souligner les aspects positifs de la colonisation, c'est-à-dire aimer le fouet et les chaînes. Décidément, les chemins de l'Enfer...



Matthieu Niango

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