Changer la gauche

Sidebar
Menu

Discriminer moins pour gagner plus, par Matthieu Niango



Il y a trois semaines, l’épisode de la Marseillaise huée, survenu en pleine débâcle financière, fournit à Nicolas Sarkozy l’occasion d’échapper à une énième réunion de crise pour aller menacer une bande de supporters avinés, et rappeler au monde qu’il est, qu’il fut, qu’il sera, le président de l’identité nationale. Une tentative de diversion grossière mais significative : ces sifflets stupides, et la réaction, bien digne d’eux, qu’ils ont suscitée, manifestent autant le malaise d’une partie des populations d’origine immigrée que l’incapacité du président à maîtriser sa passion des répressions stériles.


Rien n’est dit, en effet, des raisons pour lesquels les symboles de la République sont régulièrement attaqués par les populations d’origine immigrée (ce fut le cas entre autre d’un France-Maroc en novembre 2007). C’est ainsi dans l’indifférence générale et sans commentaire du gouvernement que s’est déroulé, la semaine dernière, le
procès de Daytona, une société fournissant des prestations d’hôtesses de vente et d’animation, condamnée pour avoir établi un fichier ethnique à l’usage de ses clients. A cette occasion, les magistrats et SOS racisme, qui s’était constitué partie civile, ont souligné l’absence de volonté politique dans ce genre d’affaire, l’enquête n’ayant pas permis de mettre en examen les utilisateurs du fichier incriminé—des clients aussi connus que Guerlain ou Gillette. Rien n’est dit non plus de la hausse générale des discriminations raciales au travail, un phénomène qui frappe l’Europe entière, et fera se lever bien d’autres brocards dans les stades du vieux continent.

Quant à la gauche, depuis la fondation de SOS-racisme, elle n’a pas su dépasser, sur la question des discriminations raciales en général, le stade des mots d’ordre aussi niais qu’inutiles.

Mais c’est peut-être qu’il faut changer d’argumentaire pour lutter contre les discriminations raciales à l’emploi –moitié des plaintes enregistrées par la HALDE. La dénonciation scandalisée des stigmatisations dont sont victimes les minorités visibles n’a guère d’autre effet que celui de soulager la conscience des tribuns. Pourtant la lutte contre les discriminations raciales au travail constitue un impératif économique tout autant que moral. Par définition, une discrimination à l’embauche ou à la promotion a lieu quand c’est la personne la plus compétente qui n’est pas recrutée ou dotée des responsabilités correspondant à ses capacités. En discriminant, les entreprises se privent, par définition, des cadres et des employés les plus performants, ou les sous-exploitent. La discrimination raciale est irrationnelle avant d’être immorale. Il ne faut pas demander à l’économie de prendre en pitié le demandeur d’emploi qui vient d’en être victime, mais montrer à celle-ci qu’elle vient de s’affaiblir en prenant un moins bon au lieu d’un meilleur. Ce n’est donc pas l’excès de pragmatisme qui conduit à la discrimination raciale dans l’entreprise. C’est sa suspension momentanée.

L’initiateur du projet de CV anonyme, Claude Bébéar, l’avait bien compris, qui mettait en avant la perte de richesses entraînée par les pratiques discriminatoires pour défendre l’anonymat des candidatures. Ainsi, l’argument économique n’a pas que des conséquences théoriques. Il permet de lutter contre un certain puritanisme des tenants de l’argument moral, car ce sont paradoxalement les défenseurs autorisés des minorités visibles, comme la HALDE ou le club Averroès, qui freinent la mise en place du CV anonyme, objet d’un
amendement du Sénat en 2006, sous prétexte qu’elle signifierait une défaite morale—dont, à ce titre, et soit dit en passant, l’existence de ces instances serait une autre manifestation… « Défaite morale » qui a augmenté sensiblement, entre autres discriminés, le nombre de salariés issus de l’immigration dans une entreprise informatique comme NORSYS, convaincue par l’argument de l’intérêt.

Un tel déplacement d’argumentaire rend également possible une expertise sur les pertes engendrées par les pratiques discriminatoires et donc une quantification du préjudice global, à condition que les oppositions, aussi moralisantes que contre-productives, aux études présupposant l’établissement de critères ethniques anonymes, cessent de faire barrage à une appréhension du phénomène dans toute son ampleur et dans toute sa gravité.

L’argument économique rendrait en outre plus facile l’établissement par un gouvernement de gauche d’une autorité administrative indépendante dotée d’un budget plus important et plus rationnel que la HALDE, budget établi en fonction des pertes réelles engendrées par le phénomène de discrimination, et prenant en charge des mesures qui, à côté du CV anonyme, dont l’application ne saurait tarder davantage, ont montré leur efficacité, comme les « testings » aléatoires ou l’aide à la conduite des enquêtes.

On regrette que le penchant répressif de Nicolas Sarkozy ne soit jamais utilisé à bon escient : par exemple, contre tous ceux qui discriminent aux dépends de l’économie nationale. Ou contre ceux, qui, dans les stades, poussent des cris de singe à l’entrée du meilleur joueur Noir de l’équipe adverse ou le salue d’un bras tendu illégal. On souhaite que la gauche se démarque radicalement de lui en avançant un argumentaire pragmatique, et n’aille pas chercher des solutions à un problème si spécifique dans la caverne de la lutte des classes, cet asile de l’ignorance.


Matthieu Niango

Derniers commentaires