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Où va la Cinquième République ? par Pierre Haroche



Les députés socialistes ont annoncé la semaine dernière qu’ils voteraient contre la réforme des institutions en première lecture afin d’obtenir d’ultimes avancées sur l’élection du Sénat et le temps de parole du président.  A l’heure où le sort de la constitution semble devoir se jouer dans une négociation point par point, il est légitime de revenir sur une question d’ensemble : où va la Ve République ?


L’esprit fondamental de la constitution de 1958 réside dans une innovation majeure : un régime parlementaire avec à sa tête un président de la République. La plupart des tensions que le régime a connues depuis lors découlent directement de la difficulté de concilier ces deux aspects
a priori contradictoires.

En théorie, le premier ministre est censé assurer la jointure, en étant responsable à la fois devant le président et le parlement.  Mais la pratique a révélé que cette solution engendrait à son tour de nouveaux problèmes en instaurant une concurrence entre les deux têtes de l’exécutif. Contrairement à ce que l’on a souvent affirmé, cette concurrence n’est absolument pas limitée aux périodes de cohabitation mais est une constante du régime depuis ses débuts. C’est elle qui a directement mis fin à la collaboration entre De Gaulle et Pompidou en 1968, entre Pompidou et Chaban-Delmas en 1972, entre Giscard et Chirac en 1976, entre Mitterrand et Rocard en 1991. L’impatience croissante de François Fillon, dépouillé de sa fonction par un président "qui gouverne" marque le dernier épisode de la série.

Malheureusement, les effets de cette maladie chronique du régime sont loin d’être circonscrits à la relation président-premier ministre et constituent de graves entraves à l’efficacité du gouvernement. Dans une première configuration, illustrée par le mandat de Chirac, le président joue au monarque républicain et délègue à son premier ministre le soin de piloter et de défendre publiquement sa politique. Cette situation engendre des gouvernements faibles, car incapables de conférer à leurs réformes la légitimité issue de l’élection présidentielle, et relativement éphémères car  servant de fusibles au président. Dans la deuxième configuration, incarnée par Sarkozy, c’est le président qui gouverne et assume la responsabilité de ses mesures devant les Français – ce qui explique aussi que sa cote de popularité ressemble plus à celle d’un premier ministre qu’à celle d’un président.  Ici, les problèmes naissent de l’exercice solitaire du pouvoir, sans  véritable concertation ni contrôle parlementaire. Alors qu’on a jamais autant parlé de renforcement du parlement, les députés de la majorité se sentent aujourd’hui malmenés et expriment publiquement leur rébellion contre les ministres chouchous du président, voire contre « les connards qui parlent trop de l’autre côté de la Seine » (Claude Goasguen)…

Dans ce contexte, comment retrouver l’équilibre des institutions, la cohérence de l’exécutif et l’efficacité de l’action gouvernementale ? Pour les tenants de la VIe République, le match président-premier ministre devrait être définitivement arbitré en faveur du second. Une nouvelle constitution limiterait étroitement les prérogatives présidentielles, et le premier ministre gagnerait son indépendance et sa légitimité en étant désigné non plus sur la base des préférences du président mais en tant que chef du parti majoritaire et véritable vainqueur des législatives.

Cette solution peut sembler séduisante en théorie. Mais  elle implique une rupture avec la prééminence de l’élection présidentielle à laquelle les Français sont attachés, et va à rebours de l’évolution actuelle. La réforme du quinquennat, les campagnes de 2002 et de 2007 et la pratique actuelle du président Sarkozy vont unanimement dans le sens du leadership présidentiel. Parallèlement, le projet  de réforme des institutions (notamment le partage de l’ordre du jour, l’augmentation du nombre de commissions parlementaires et  la limitation du 49-3), et d’une certaine manière aussi les tentatives de la majorité actuelle pour acquérir d’avantage d’autonomie à l’égard du gouvernement,  vont dans le sens d’un renforcement du rôle du parlement. Pris en tenaille entre ces deux mouvements, le premier ministre, loin de se voir renforcer, assure un rôle de plus en plus flou et à l’autorité incertaine.

Le rééquilibrage de nos institutions semble donc devoir se faire en faveur du président de la République et d’une disparition à terme du poste de premier ministre. Mais quid alors de la nature parlementaire du régime ? Une solution originale a été notamment défendue à gauche par Jack Lang : le président, élu au suffrage universel, serait tout simplement responsable également devant le parlement. Un système dans lequel élections présidentielles et législatives seraient obligatoirement liées l’une à l’autre, où le président ne pourrait dissoudre qu’à condition de remettre son propre mandat en jeu, et où les députés  pourraient faire tomber le président mais à condition de revenir eux aussi devant les électeurs, ne serait pas fondamentalement en rupture avec la logique actuelle. Il établirait entre le président et le parlement un rapport de responsabilité direct, sain et démocratique, avec, en cas de conflit, la possibilité d’en appeler à tout moment à l’arbitrage du suffrage universel. Le président pourrait alors pleinement jouer son rôle de leader de l’exécutif car il en assumerait aussi les contraintes parlementaires.

Cette évolution, dont les futurs discours présidentiels devant le Congrès pourraient constituer les signes avant-coureurs, n’instaurerait pas véritablement « un nouveau régime politique », mais viendrait enfin, dans la continuité des tendances actuelles, conférer une cohérence et une stabilité à la logique initiale Ve République : un régime parlementaire, dirigé par un président de la République.



Pierre Haroche

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