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La morale et l'argent, par Pierre Haroche



Moraliser le capitalisme, voilà le nouveau cheval de bataille de Nicolas Sarkozy. En ces temps de crise, chaque jour apporte son lot d’indignations sur ces hauts dirigeants qui continuent à être inondés de bonus, stock options et autres parachutes dorés, alors même que leurs entreprises licencient et reçoivent des aides de l’Etat. Mais en focalisant le débat sur l’immoralité et l’indécence des patrons qui refusent de renoncer à leurs millions, on occulte en réalité la vraie question.


Que l’ex-PDG de Valeo ait accepté 3,2 millions d’euros d’indemnité, au fond, toute personne ayant un jour été tentée de jouer au Loto peut le comprendre. Plus intéressant serait de se demander pourquoi son conseil d’administration, qui l’a renvoyé en raison de "divergences stratégiques", lui a accordé une telle somme. La vérité qui dérange c’est qu’avec ou sans crise, avec ou sans aides de l’Etat, les revenus des dirigeants d’entreprises n’ont tout simplement rien à voir avec leur compétence ou avec leurs efforts mais sont plus souvent le résultat de rentes de situation.

Le risque majeur pour une grande entreprise, c’est d’être sabordée par un dirigeant malveillant ou vendu à la concurrence. La solution est donc d’acheter sa loyauté, au prix fort. C’est exactement la logique du parachute doré, qui sert à compenser une clause de non-concurrence : pour éviter qu’un ex-dirigeant n’aille vendre des informations stratégiques à des concurrents, une entreprise préfère le payer pour qu’il parte en vacance. En clair, le dirigeant n’est pas rémunéré pour un travail effectué mais pour se donner la peine de
ne pas travailler. De même, si la distribution de stock options est souvent préférée aux autres formes d’intéressement, c’est parce qu’elle garantit la soumission des dirigeants aux intérêts des actionnaires. Là encore, on achète la loyauté bien plus qu’on ne récompense le mérite. Les stock options ont ainsi eu pour effet d’indexer les revenus des dirigeants des entreprises pétrolières au cours du baril de brut, alors même que celui-ci reflète plutôt le niveau de l’activité économique mondiale par rapport aux ressources de la planète et l’actualité géopolitique du Moyen-Orient. Et pas les performances de tel ou tel PDG.

Bien au-delà du cas des hauts dirigeants, ce sont des rapports de force économiques très largement indépendants du mérite et des efforts individuels qui déterminent la distribution des revenus dans une société. Et ce constat pourrait n’être, au fond, qu’une banalité. Mais si Nicolas Sarkozy fait aujourd’hui semblant de s’en étonner, c’est que depuis le début de son mandat, il n’a pas cessé de vouloir imposer l’idée que l’argent avait une haute valeur morale. Travailler plus pour gagner plus ? L’argent est toujours le fruit de l’effort. Le
bling bling ? Le luxe affiché est la marque du mérite personnel. Le bouclier fiscal ? L’argent gagné est sacré et c’est à l’Etat de se soumettre aux exigences des évadés fiscaux. Seulement voilà, quand l’Etat intervient pour sauver les banques, il sauve aussi le patrimoine des riches de leur propre imprévoyance financière. Quand des dirigeants ayant ruiné leur entreprise reçoivent des primes financées indirectement par le contribuable, c’est le mythe de l’argent érigé en reflet du mérite personnel qui s’effondre de lui-même.

Il faut aujourd’hui en revenir à des idées simples. Le capitalisme n’est pas fait pour être moral, il est fait pour produire de la richesse. Il est extrêmement difficile d’empêcher les grandes entreprises de surpayer leurs dirigeants, tout simplement parce qu’elles ont le plus souvent intérêt à le faire. En revanche il est parfaitement possible de corriger par la redistribution les inégalités produites par les entreprises et qui sont nuisibles à la société.

L’argent n’est jamais moral. L’impôt, parfois.



Pierre Haroche

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