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Pour une nouvelle convention-cadre des Nations Unies sur le changement climatique, par Henry J. Dicks



Reprenant en cela une analyse grammaticale, Emmanuel Lévinas effectue une distinction entre trois personnes: le Moi, l’infiniment Autre, et le tiers. Quelle relation existe-t-il entre ces trois personnes ? Lorsque le Moi se trouve face à l’infiniment Autre, il sera tenté d’agir de manière égoïste et donc de le réduire au même, selon l’expression de Lévinas. Si le Moi se comporte de façon éthique, il reconnaîtra son obligation infinie vers l’Autre et respectera donc son altérité. Cette situation originelle est compliquée par l'émergence d'un tiers. A partir de là, le Moi a aussi des obligations envers ce tiers, et c’est à ce moment que, selon Lévinas, commence la politique. Cette façon de comprendre l’éthique et la politique à partir des relations interpersonnelles peut nous aider à comprendre les problèmes les plus généraux concernant les négociations internationales sur le changement climatique.


A la suite de l’échec de Copenhague, tout le monde s’est fait mutuellement des reproches d’avoir bloqué un accord contraignant de réduction d’émissions. Il serait cependant naïf de dire que cet échec est la faute de la Chine, des États-Unis, ou de quelque autre pays ; si les négociations ont échoué, c’est en raison de la structure de la Convention-cadre des Nations Unies sur le changement climatique (CCNUCC). 

Cette convention-cadre, adoptée à Rio de Janeiro en 1992, dont l’accomplissement principal est le Protocole de Kyoto, divise le monde en deux ensembles : les pays développés (dits Annexe I) et les pays en développement (dits Non-Annexe I). Dans ce cadre, les pays BRIC (Brésil, Russie, Inde, et Chine) sont des pays en développement, au même titre que les pays les plus pauvres d’Afrique ou que les petits États insulaires les plus touchés par le changement climatique. Après vingt ans de croissance économique –en Chine et ailleurs– ce cadre n’a plus aujourd'hui de sens.
 
La conséquence de cet anachronisme est que les pays développés ont passé leur temps, pendant la Conférence de Copenhague, à contester la catégorisation de la Chine comme pays en développement, essayant, selon l’expression de Lévinas, de la "réduire au même", c’est-à-dire de la classifier comme un pays développé. La Chine, elle, s’est vivement attachée au statut de pays en développement que lui attribue le Protocole de Kyoto. La seule réponse qui permettra une résolution à cette impasse est de reconnaître que la Chine (comme les autres pays BRIC) n’est ni un pays développé au même titre que les États-Unis, ni un pays en développement au même titre que l’Éthiopie. Autrement dit, il faut abandonner la distinction binaire "développé/en développement" en faveur d’une approche qui reconnaît l’existence de trois parties distinctes, chacune ayant des responsabilités communes mais différenciées.

Cette approche peut se concevoir dans une perspective levinassienne : lorsque nous, les pays riches, négocions avec la Chine, nous avons un devoir absolu de lui laisser développer son économie et nous ne pouvons pas lui dire: "vous être est dans une situation similaire à la nôtre". Mais la présence d’un tiers complique cette situation et rend possible une solution politique ; nous avons également des responsabilités envers les pays les plus pauvres qui sont nullement dans la même situation que la Chine, et, uniquement pour cette raison-là, nous pouvons également demander des réductions d’émissions de la part de la Chine.

Une conclusion s’impose : il faut abandonner la CCNUCC en faveur d’une nouvelle convention-cadre qui divise le monde en trois parties et qui soit à la fois grammaticalement et politiquement correcte.



Henry J. Dicks

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