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Où va l'Europe ?, par Pierre Haroche

Verona


Un Président de la Commission européenne élu au suffrage universel direct. Cela a été peu commenté mais Angela Merkel a avancé cette proposition à plusieurs reprises cette année. Au-delà de la recherche d’un équilibre entre solidarité financière et intégration budgétaire, qui focalise aujourd’hui toutes les attentions, l’autre enjeu majeur de ces prochaines années sera en effet la recherche d’un équilibre entre intégration et préservation du pouvoir démocratique des citoyens.

Alors que beaucoup y voyaient les prémisses d’une dissolution de l’Europe, la crise budgétaire actuelle s’est révélée être un puissant moteur d’intégration. La perspective qui se dessine aujourd’hui est celle d’une politique budgétaire européenne dont les budgets nationaux ne seront peut-être bientôt plus que de simples mises en œuvre, encadrées par le Conseil européen et contrôlées par la Commission. Il s’agit d’une révolution historique car même des Etats fédéraux bien plus centralisés que l’Union européenne, ne disposent pas du pouvoir de contraindre les budgets des Etats fédérés. Si cette solution peut être acceptable pour certains gouvernements qui y voient une façon de maîtriser une interdépendance financière qui s’impose à eux de fait, il en va tout autrement pour les parlementaires et les citoyens. Les parlements qui votent les budgets et les peuples qui élisent les exécutifs sur la base d’engagements électoraux risquent ainsi de se voir largement dépossédés de leur pouvoir. Comme nous l’avons déjà vu en Grèce à l’occasion du projet avorté de référendum, lorsque les gouvernements sont essentiellement contraints par leurs engagements européens, la démocratie interne est court-circuitée. Si le pouvoir budgétaire en vient à devenir l’apanage du Conseil européen, les parlementaires et les citoyens risquent de voir leur capacité de contrôle largement dissoute dans les arcanes des tractations bruxelloises.

Cette situation ne serait pourtant pas nouvelle. Dans les années 1960, la mise en place de la politique agricole commune avait créé un problème assez semblable. Le financement de la PAC prévoyait en effet la création de ressources propres des communautés, c'est-à-dire de fonds directement prélevés au niveau européen et donc ne transitant plus par les budgets votés au niveau national. Les parlementaires nationaux s’étaient alors lancés dans une véritable fronde, menaçant de saborder le financement de la PAC si des contreparties ne leur étaient pas offertes. Les gouvernements acceptèrent finalement de céder des pouvoirs budgétaires au Parlement européen, restituant ainsi, au niveau européen, les pouvoirs que les parlementaires perdaient au niveau national.

Dans les années à venir, un compromis de ce type pourrait émerger. Si les grandes orientations budgétaires doivent être déterminées au niveau européen, les parlementaires nationaux pourront exiger non seulement d’être étroitement associés à ces discussions mais aussi qu’un droit de veto y soit reconnu au Parlement européen, afin de compenser la perte de marge de manœuvre des débats budgétaires nationaux. De la même manière, il est permis de penser qu’une nouvelle évolution des traités n’aurait que peu de chances d’être acceptée par les peuples si elle ne devait conduire qu’à vider de leur sens les engagements électoraux et la responsabilité des gouvernements. Après avoir concédé la constitution d’un parlementarisme européen pour compenser l’affaiblissement du parlementarisme national, les gouvernements pourraient être contraints de concéder des pouvoirs au suffrage universel européen. L’élection du Président de la Commission au suffrage universel direct conférerait au vote du citoyen européen un poids nouveau, en compensation de l’affaiblissement du poids des élections nationales. Et elle rendrait plus acceptable son rôle de contrôleur des finances des Etats membres.

L’advenue d’une véritable démocratie européenne, longtemps considérée comme une lointaine utopie pourrait ainsi être considérablement accélérée par la crise financière actuelle. Non pas du fait d’une soudaine prise de conscience identitaire ou de la constitution d’un espace public unifié, mais simplement par la nécessité de négocier avec des citoyens peu enclins à renoncer à leurs prérogatives au nom de la rationalisation budgétaire.

Les institutions européennes sont, à l’image du mythe de l’enlèvement d’Europe, marquées par un double mouvement : une course en avant vers l’intégration, entraînée par les crises et leurs violents bouleversements, que personne n’avait souhaités ni même anticipés ; un regard en arrière pour ce que les nations sont contraintes d’abandonner, et qu’il faudra rebâtir, sur un nouveau rivage.


Pierre Haroche

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