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Ingrid Betancourt, la Nelson Mandela du pauvre, par Matthieu Niango



Comme tout le monde, j’ai accueilli avec joie la nouvelle de la libération d’Ingrid Betancourt, mais aussi avec la crainte que ce sentiment ne se transforme bientôt en agacement. Cet agacement, une comparaison trop récurrente l’a rendu réel. Car non, contrairement à ce que de nombreux médias ont bien vouloir écrire, Ingrid Betancourt n’est pas Nelson Mandela !


1. Nelson Mandela a lutté activement contre l’apartheid, ce qui lui a valu une condamnation à 27 ans de réclusion. C’était donc un prisonnier politique. Ingrid Betancourt était candidate à la présidence de la République lorsqu’elle s’est faite enlever et enfermer pendant 6 ans par les FARC, des narcotrafiquants dont elle ne menaçait pas particulièrement les intérêts. Son emprisonnement répondait avant tout à des fins économiques et militaires (elle constituait avec d’autres otages un bouclier humain). Ce n’était donc pas une prisonnière politique.

2. Nelson Mandela s’est fait arrêter alors qu’il tentait de quitter l’Afrique du Sud pour organiser du dehors la lutte clandestine. Il ne cherchait pas à se forger une image de héros quand il s’est fait prendre. De leur côté, les inconditionnels d’Ingrid Betancourt se gardent bien de rappeler que c’est pour acquérir la stature de candidate présidentielle courageuse qu’elle a tenu à traverser la zone d’occupation des FARC en voiture afin de rendre visite au maire d’un village de son parti situé au plein cœur de la zone –avec, soit dit en passant, sa directrice de cabinet et son chauffeur, qui n’en avaient peut-être pas tout à fait envie. Un coup médiatique audacieux plus qu’un acte héroïque.

3. La pression internationale et la lutte armée contre l’apartheid ont rendu possible la libération de Mandela qui, dès lors, a pu pousser avec d’autres la révolution à son terme. Les circonstances de la libération d’Ingrid Betancourt n’ont pas la même limpidité si l’on en croit les rumeurs de rançon très imparfaitement dissipées par le récit d’une opération militaire au déroulement invraisemblable. Quant à l’appel lancé le 21 juillet dernier par l’ex-candidate pour la libération des otages des FARC, il est d’une incroyable naïveté ; à moins que l’argent généré par les concerts à venir ne serve –
horresco referens– à financer d’autres libérations!

4. Mandela, conscient de sa valeur, ne s’est jamais fait passer pour un prisonnier
comme les autres. Ingrid Betancourt se pose en symbole de tous les prisonniers du monde alors qu’elle a fait l’objet d’une attention extraordinaire du fait de l’amitié de sa famille avec le président français. Une prisonnière comme les autres qui va remercier la Vierge pour l’avoir libérée…et laisser les os des autres prisonniers comme elle pourrir au fond de la jungle ? Une prisonnière comme les autres dont le visage s’étire devant les hôtels de ville tandis que celui de Guy-André Kieffer, ce journaliste français disparu alors qu’il enquêtait sur les filières du cacao en Côte d’ivoire, est inconnu ?

Dans une des éditions du « Burger Quizz », Alain Chabat demandait aux candidats de qui la personne dont il prononçait le nom était l’équivalent "pour le pauvre". "Question: Francis Huster ? Réponse: Gérard Philippe! Bonne réponse : Francis Huster est le Gérard Philippe du pauvre". Certains voient en Ingrid Betancourt le Nelson Mandela du XXIe siècle. Acceptons en l'augure, à condition de préciser cette affirmation: être le "Mandela du pauvre", cela n'est déjà pas si mal!



Matthieu Niango

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