Vincennes; Meeting d’hiver de Vincennes: priorité et continuité

PAR LARA BOUVE, DAVID FRICAUX, CHRISTOPHER PELLEGRINO ET ALEXANDRE DUVEY

A quelques jours du début d’un meeting d’hiver de Vincennes toujours très attendu, la question de savoir s’il existe encore des professionnels qui font de ce meeting un objectif à part entière est régulièrement posée par les observateurs. Qui mieux que Christian Bigeon, qui passe tous ses hivers à Grosbois depuis qu’il a embrassé le métier, et dont l’écurie engrange la grande majorité de ses gains durant cette période, pour évoquer la question ? “Il reste indispensable pour les professionnels, mais aussi pour les turfistes qui peuvent suivre des chevaux durant plusieurs mois. D’ailleurs, certains d’entre eux ne parient que durant le meeting, analyse le grand professionnel qui s’est retiré des pelotons l’an passé. Personnellement, je suis un adepte du meeting car il me permet de faire vieillir mes chevaux. Tout simplement. Après avoir pris des gains durant l’hiver à Vincennes, ils partent au repos durant la belle saison et ne seront repréparés que pour le meeting suivant. C’est certainement plus facile pour moi puisque je ne travaille qu’avec mes propres chevaux, et n’ai pas de comptes à rendre à des propriétaires, mais beaucoup plus d’entraîneurs qu’on ne le croit fonctionnent de la sorte eux aussi. Je pense notamment à Jean-Michel Bazire ou Jean-Michel Baudouin qui, bien que présentant des partants tout au long de l’année, mettent chaque saison beaucoup de chevaux de côté spécialement en vue de l’hiver. Ils ont un roulement de chevaux qui leur permet de conserver une partie de leur effectif en vue du meeting d’hiver qui est une période déterminante.” Trait d’union entre l’ancienne et la nouvelle génération d’entraîneurs, Christian Bigeon continue donc de fonctionner de la sorte avec la réussite que l’on sait. Ainsi, ses chevaux ont gagné 719.690 € (du 31 octobre 2024 au 1^er mars 2025) lors du précédent meeting et 496.570 € depuis (stats arrêtées au 20 octobre). “C’est une façon de faire et de procéder qui me convient, confie le professionnel mayennais. Comme on dit, j’ai réduit un peu la voilure puisque je ne vais faire ce meeting qu’avec 25 chevaux, contre 35 à une période, mais je prends toujours autant de plaisir à y participer. Je regrette en revanche que l’on attire autant de chevaux européens durant cette période. (Voir notre encadré) Ces chevaux étrangers ont été sollicités pour faire soi-disant des partants, mais c’est le tout contraire qui se passe. Courir contre des chevaux qui sont déclassés et ne pas courir contre eux à armes égales fait que beaucoup d’entraîneurs ne disputent plus ces courses européennes. Je constate que beaucoup de turfistes ont la même vision que moi et ne parient plus dans ces courses-là. Présenter une course de 16 partants avec seulement trois français est inadmissible selon moi.”

Tête de liste des entraîneurs français, Thierry Duvaldestin fait également de cette période une échéance importante, mais pas aussi visée que certains. “Il y a, selon moi, encore des spécialistes du meeting d’hiver, tels que Christian Bigeon et Jean-Michel Baudouin” explique-t-il. “Me concernant, cela n’a jamais été vraiment dans ma culture. J’ai appris chez des professionnels, comme Jean-Pierre Dubois ou Pierre-Désiré Allaire, pour qui cela ne l’était pas non plus. Tout axer sur quatre mois de l’année est risqué. Je me souviens avoir vraiment souffert durant l’hiver 2017-2018, car l’écurie avait gagné peu de courses. Mon écurie court toute l’année et je ne réserve finalement que peu de chevaux pour le meeting. Mais bien sûr, cela reste une période importante pour nous, surtout pour les belles courses. Concernant la logistique, je n’ai jamais pris de cour à Grosbois et ne le ferai jamais. J’y avais songé il y a longtemps quand les hivers étaient pluvieux. Mais on est bien chez nous et il y a un roulement au sein de mon équipe, puisque ce ne sont jamais les mêmes personnes qui vont aux courses. Par le passé, en raison des hivers très rudes, des mauvaises routes et des mauvais camions, tous les chevaux étaient concentrés à Grosbois pour assurer le quinté. Maintenant que les hivers sont moins rudes, que les réseaux routiers se sont améliorés et que tout le monde est équipé de bons camions, il y a moins d’intérêt d’aller à Grosbois à mon sens.”

Trois entraîneurs qui visent juste

Une étude des cinq derniers meetings d’hiver démontre le savoir-faire de trois entraîneurs, présents dans le top-5 de chaque exercice, lors de ces quatre mois de compétition. Jean-Michel Bazire, qui a passé le relais à son fils Nicolas l’hiver dernier, domine largement ses adversaires, tant au niveau des gains engrangés par ses pensionnaires qu’au nombre de victoires. Il est également celui qui aura présenté le plus grand nombre de partants avec une moyenne de 63 chevaux présentés et 301 courses courues au cours d’un meeting. Mais la réussite de Thierry Duvaldestin, qui a d’ores et déjà passé sa marque record de 2023 en ayant déjà signé 197 victoires cette année (stats arrêtées au 20 octobre), durant les hivers parisiens est particulièrement notable car, malgré un nombre nettement inférieur de partants présentés en comparaison de la famille Bazire et Laurent-Claude Abrivard, il se hisse en deuxième position du classement en termes de gains, aidé par les succès dans “l’Amérique” d’Idao de Tillard, et affiche un impressionnant pourcentage de réussite de 44,11% dans les trois premiers. Preuve du savoir-faire de l’homme de la Ferté-Frênel dans la préparation des meetings.

Le Top 3 des meilleurs entraîneurs sur les cinq derniers meetings :

Une période déterminante mais plus aussi décisive

Si le meeting est “LE” grand moment du calendrier français au trot, son importance dans l’exercice annuel des écuries “mammouth” n’est plus aussi prépondérante. Avec ses 83 victoires, Jean-Michel Bazire avait signé un nouveau record durant l’hiver 2019/2020. Le professionnel sarthois avait axé l’année de son écurie sur ces quatre mois de compétition en engrangeant 3.731.180 € sur les 4.707.450 € gagnés par ses chevaux cette année-là (d’octobre 2019 à octobre 2020). Mais ces dernières saisons, même les meilleurs entraîneurs ne se focalisent plus sur le seul meeting d’hiver. Si elle avait une nouvelle fois conclu en tête du classement l’an passé, l’écurie de Nicolas et Jean-Michel Bazire avait bien d’autres objectifs par la suite et a depuis signé 76 victoires pour 2.208.800 € engrangés. Thierry Duvaldestin a de son côté réalisé une sortie d’hiver tonitruante, ses pensionnaires (121 chevaux présentés) ayant enregistré 165 victoires depuis le 2 mars pour près de 4 millions d’euros glanés. Le programme offrant des opportunités toute l’année, pour toutes les catégories de chevaux et sans compter le calendrier étranger, les têtes d’affiche au trot peuvent se permettre, dans un contexte de concentration des meilleurs chevaux chez un nombre restreint d’entraîneurs, d’effectuer un roulement dans leur effectif. L’élite est désormais moins dépendante du meeting d’hiver parisien et permet à la nouvelle génération de se faire une place tel Mathieu Mottier qui, après avoir fait son apparition dans le Top 10 du meeting en 2023/2024, a su confirmer l’hiver dernier en se hissant à la cinquième place.

Le Top-10 des entraîneurs du meeting 2024/2025 :

Grosbois se met en place pour le meeting

Situé à un emplacement privilégié, à une vingtaine de kilomètres de l’hippodrome de Vincennes, le domaine de Grosbois, ouvert toute l’année, se met en ébullition chaque fin d’année à l’aube du lancement du meeting d’hiver. A quelques jours du coup d’envoi de la période la plus importante au trot de l’année, le centre d’entraînement se remplit progressivement. “Depuis la semaine dernière, on a quelques arrivées, et cela va s’enchaîner dans les semaines qui viennent, explique Christophe Walazyc, régisseur du centre d’entraînement depuis 24 ans. Mais tout le monde est loin d’être là.” En effet, si de nombreux metteurs au point possèdent leurs boxes à l’année, d’autres en louent uniquement pour l’exercice hivernal via un système de dossier. “Les candidatures sont examinées et nous donnons nos réponses en fonction des disponibilités. Nous avons un parc de boxes dédié à l’hiver qui est assez limité, de l’ordre de 10% (soit 150 boxes). Mais en général, nous arrivons à caser tout le monde.” Au total, au plus fort de l’hiver, 1 500 chevaux seront entraînés quotidiennement sur le domaine situé à Boissy-Saint-Léger. “Je n’ai pas le décompte de chaque écurie, mais aujourd’hui (le 20 octobre), nous devons être à 1.000 chevaux. La capacité totale du centre d’entraînement est stable depuis une vingtaine d’années.” Côté humains, c’est véritablement une petite ville dans la ville. Selon notre interlocuteur, 1.000 personnes vivent ou travaillent sur le site, des entraîneurs, leur famille et leurs salariés, aux employés de la clinique équine, en passant par l’école des courses hippiques et le personnel de la SETF.

[##ln##]Une concurrence étrangère de plus en plus accrue[/##ln##]

Le programme hivernal à Vincennes s’est progressivement ouvert aux chevaux nés à l’étranger. L’an passé, ceux-ci avaient remporté 67 épreuves sur les 196 courses qui leur étaient ouvertes (soit 27,4 % des 715 courses disputées). Des chiffres qui doivent néanmoins être tempérés par le fait que beaucoup de ces concurrents sont entraînés par des professionnels français ou des metteurs au point basés en France comme Erik Bondo, qui avait été l’entraîneur étranger le plus prolifique l’hiver dernier (15 victoires). Cette année, deux courses européennes ont disparu du calendrier et 155 courses porteront ce label.