Un Américain au PS, par Pierre Haroche
Soudain, il me demanda avec ingénuité : ”Mais ce vote, que décide-t-il au juste ?” Je répondis, en confiance : ”Il décide de la nouvelle majorité qui dirigera le parti.
- Et qui a obtenu la majorité ?
- Aucune motion n’a atteint à elle seule la majorité. Donc, pour former une nouvelle direction, des alliances sont nécessaires autour de la liste Collomb-Royal arrivée en tête. Ce sera l’enjeu du Congrès de Reims. Puis les militants revoteront le 20 novembre pour élire le premier secrétaire.
- Mais si le Congrès désigne une nouvelle direction, à quoi sert le vote du 20 novembre ?
- A tirer les conséquences du Congrès en désignant un leader qui coïncide plus ou moins avec la nouvelle majorité.
- Donc si je comprends bien, conclut mon ami, ce n’est pas dans les votes des militants que se forme la majorité qui dirige ton parti, mais dans les alliances du Congrès. En fait, tu n’as pas décidé grand-chose…” Décidément, mon ami américain avait du sang huron, et moi j’étais un peu perdu.
En y réfléchissant, je pense que mon ami n’avait peut-être pas si tort. Derrière une belle procédure démocratique, le militant-électeur que je suis est bel-et-bien deux fois floué. Au premier vote, il croit choisir la nouvelle orientation du parti, alors que tout se jouera réellement lors des négociations et des alliances d’après vote. Au second vote, il croit désigner librement le premier secrétaire alors qu’il est en fait prisonnier de la majorité qui a émergé lors du Congrès. Celle-ci, la plupart du temps, lui dicte ”le bon choix”, voire lui fait ratifier la désignation d’une personnalité de compromis.
L’absurdité de ce système devient encore plus criante si l’on prend en compte les modes de scrutin employés. Lors du vote des motions, les militants sont censés dégager une majorité alors qu’on ne leur offre pour cela que l’outil du scrutin proportionnel intégral, qui a précisément pour caractéristique d’éclater les résultats et de ne pas offrir de majorité claire. A l’inverse, lors de l’élection du premier secrétaire, les militants disposent du scrutin majoritaire à deux tours, qui par définition, dégage automatiquement une majorité absolue. Oui, mais voilà, à ce stade, le Congrès a déjà fait émerger une majorité et la peur de voir deux majorités contraires cohabiter limite considérablement la liberté des militants. Les deux modes de scrutin sont donc mobilisés… à contre-emploi.
A présent, imaginons un calendrier inversé. Les militants seraient d’abord appelés à dégager une orientation majoritaire en élisant leur premier secrétaire. Dans un deuxième temps, ils voteraient à la proportionnelle pour les différentes motions afin d’orienter et d’alimenter la majorité que le premier secrétaire serait amené à construire autour de lui, dans un troisième temps, à l’occasion du Congrès. Dans ce scénario, le choix des militants serait considérablement moins prisonnier des stratégies d’alliances, reportées en bout de course, après les votes. Et les modes de scrutin deviendraient avantageux au lieu de poser problème. En particulier, le caractère éclaté et ambigu des résultats du vote sur les motions deviendrait un atout en évitant la remise en cause frontale de la légitimité du nouveau premier secrétaire et en lui offrant une grande marge de manœuvre en vue de la formation d’une motion majoritaire. Enfin, l’élection du premier secrétaire, placée en tête du calendrier, offrirait au parti d’être dirigé par un vrai leader, et non par une personnalité de compromis risquant de l’affaiblir sur la scène politique nationale.
Rendre un parti plus démocratique et plus fort, rien qu’en modifiant quelques dates ? Oui, car en politique, les principes ne sont rien sans la pratique et comme le dit mon ami américain, ”le diable est souvent dans le timing…”
Pierre Haroche