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Petite chronique de la Poste ordinaire, par Sophie Duval



La réforme des retraites a fait oublier, un temps, d’autres débats, dont celui sur la réforme de la Poste. En janvier 2010 le Parlement avait adopté définitivement le projet de loi visant à modifier le statut de La Poste, la création d'une société anonyme à capitaux 100% publics afin de "moderniser et adapter" l'entreprise à l'ouverture totale de la concurrence le 1er janvier 2011, c’est à dire dans quelques semaines.
C’est sur la conception de la « modernisation » de nos élus que je voudrais aujourd’hui réagir, en racontant ma petite histoire.

Travaillant beaucoup, je n’ai souvent pas le temps de sortir aux horaires d’ouverture des magasins et je suis devenue petit à petit adepte de l’achat par Internet. C’est pratique, cela va vite, et je trouve exactement ce que je cherche. Je reçois mes colis dans ma boite aux lettres, ou au pire au bureau de poste deux rues derrière chez moi, qui est ouvert jusqu’à 20h. Cette évolution de la société, des modes de communication, la révolution Internet, je trouve tout cela formidable !

Oui mais, depuis quelques mois, tout est différent. J’ai eu le malheur de déménager. Oh, pas très loin, j’ai juste traversé la seine, et perdu deux arrondissements. J’ai continué mes achats habituels sans me poser de questions.

Le premier colis n’est jamais arrivé, renvoyé à l’expéditeur. Le deuxième non plus. Le troisième a été carrément perdu. Le quatrième également et c’était plus grave, il contenait ma livebox Internet et difficile de m’en passer.

Armée de mon plus beau sourire je suis donc allée demander de sérieuses explications au bureau de poste. Et voici l’explication : comme La Poste a privatisé la livraison de colis, ceux qui les livrent n’ont plus le pass pour entrer dans les immeubles parisiens (privilège des facteurs). Le livreur de colis n’a donc ni pu sonner chez moi, ni même me laisser le papier indiquant que le colis était arrivé. Il nous l’a envoyé… par la poste. Compte tenu des délais, il est arrivé plus d’une semaine plus tard dans ma boîte, je me suis précipitée à la poste… et le colis était déjà reparti car le délai de 15 jours était écoulé. Quand au coli perdu, il semble que depuis la réorganisation du centre de tri, devant permettre sa modernisation, cela arrive tout le temps.

Réaction du monsieur à La Poste : "Mais madame, il ne faut plus acheter sur Internet, il faut aller dans les magasins".

La voici donc, cette fameuse réforme de La Poste, devant permettre sa "modernisation". N’achetons plus sur Internet et privons-nous de ce bel outil.

Après tout, pour certains, la décroissance est l’avenir de la planète. Nos dirigeants seraient donc en train de faire de la France un pays terriblement moderne. Il ne me reste plus qu’à aller détacher mon cheval et mettre mon chapeau à plumes pour aller chez le tailleur.

En avant les amis, nous vivons dans une France moderne !


Sophie Duval

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La nation, qu'en faire ? Le problème des opinions en démocratie, par Jeanne-Marie Roux



Aujourd'hui, en pleine crise des retraites, au rythme où les sujets de l'actualité politique se remplacent les uns les autres, la question de "l'identité nationale" semble loin. Le débat sur la définition de l'identité française a en effet débuté il y a un an. Un an, pensez-vous. Cela étant, il est loin d'avoir complètement disparu des mémoires, et cela manifeste sans doute à quel point il touche au coeur des tourments de notre début de XXIème siècle. La polémique qui s'est développée autour du traitement de la question rom par le gouvernement a été l'une des occasions de sa reviviscence; dans un cas comme dans l'autre, le spectre menaçant était le même : la cristallisation, à charge ou à décharge, des identités de groupe, et ses fidèles amis, la discrimination et la confrontation des groupes ainsi catalogués. Or, la question de "l'identité nationale" garde, selon nous, toute son actualité. Non seulement parce qu'elle permet de saisir l'une des caractéristiques de la politique du gouvernement que nous subissons depuis 2007, mais surtout parce qu'elle touche à ce problème de fond qui sous-tend toute conception de la démocratie, et donc toute politique démocratique, celui de son domaine et de son échelle d'action.

Car quelle est l'échelle à laquelle la démocratie prétend aujourd'hui s'exercer ? Elle est nationale, bien sûr, mais aussi en principe européenne. Or, on le sait bien, en dépit du fait qu'il y a bel et bien des institutions démocratiques à l'échelle européenne, et qu'il existe un indéniable effort pour les renforcer, les Français n'ont que très peu la sensation que l'Europe est leur domaine d'action politique en tant que corps politique. Ils n'ont, en somme, que très peu l'impression qu'il existe un corps politique européen auquel ils appartiendraient. Leur relation à cette unité politique est distante et méfiante. Il n'y a pas de corps, s'il est ce que l'on vit comme étant, certes parfois dans une certaine étrangeté, réellement intime. A fortiori, il est évident qu'il n'y a actuellement aucun corps politique mondial, et ce quelque soient les efforts des organisations internationales pour coordonner des politiques au niveau mondial. Elles sont et demeurent, précisément, internationales. Les médias, l'économie, les mouvements sociaux, la culture, l'écologie, eux, oui, ont une réelle dimension mondiale. Mais de corps politique mondial, point. Et c'est sans doute là l'une des causes de la désaffection croissante des Français envers le politique et la démocratie : ils ne leur proposent plus de moyens d'actions à l'échelle des problèmes qu'ils rencontrent.

En effet, si l'on en croit Rousseau, qu'est ce que la démocratie ? C'est l'ensemble du peuple qui décide pour l'ensemble du peuple. Mais si par la démocratie on ne décide plus que pour un ensemble qui apparaît, à l'échelle de bon nombre de problèmes du siècle, et peut-être les plus essentiels, comme un pauvre microcosme, la démocratie n'apparaît plus que comme un leurre, hautement symbolique, extrêmement précieux, et irremplaçable, mais vain, et presque inutile. Cela est d'autant plus vrai quand, comme c'est le cas actuellement, le gouvernement instrumentalise cet état d'impuissance accrue de la démocratie, et renvoie la responsabilité de presque tous ses choix à des faits, à des dynamiques qui le dépasseraient, et ce même lorsqu'il dispose encore d'une marge de manoeuvre : la libéralisation des services publics, c'est la faute de l'Europe, le démantelement de notre système social -et ces cinq petits mots sont bien petits pour dire toute la souffrance et la régression que cela représente-, c'est la faute de la mondialisation. Et pour parfaire le tableau, le reste des choix politiques gouvernementaux est justifié par des faits bruts et des chiffres : l'augmentation de l'espérance de vie est par exemple considérée comme responsable du déficit du régime des retraites mais aussi du déficit de la sécurité sociale... Et d'ailleurs, les Allemands ont bien accepté d'augmenter l'âge du départ en retraite, eux ! Nous sommes tous finalement mis en situation de minorité politique sans influence sur le cours de leur vie, condamnés à faire comme tout le monde, c'est-à-dire à subir comme tout le monde. On se demande, en fait, par quel miracle des gens vont encore voter puisque, de toute façon, leur explique-t-on, nous n'avons aucun choix, aucun pouvoir. Ce que fait le gouvernement, en niant l'effectivité de la décision politique, c'est tout simplement un crime envers la démocratie.
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Qu'est-ce qu'un élu ?, par Matthieu Niango



La réforme des retraites a passé la tête. Le corps suivra bientôt. Impossible d’en douter : Nicolas Sarkozy le pense fort mais ne peut plus le dire, que "ce n’est pas la rue qui gouverne". Ce ne sont pas non plus ses ministres et les députés, majoritairement opposés au bouclier fiscal, mais lui tout seul, le premier des élus de la France, qui dirige. De la France ou des Français ? Ce n’est pas la même chose. Et n’est pas élu des Français celui en qui plus personne ne voit l’harmonisateur de l’intérêt général.

C’est qu’en effet le mot d’élu appelle deux interprétations bien différentes. L’une, qu’on pourrait dire "fonctionnaliste", fait de l’élu la simple voix des électeurs, l’incarnation des fins multiples et divergentes de ceux qui lui ont accordé l’honneur de dire et faire leur volonté. Il ne serait alors que le chargé d’affaires du peuple. Quelqu’un qui disposerait simplement de plus de temps et de largeur de vue pour embrasser les positions contradictoires et les faire tenir ensemble. Quelqu’un qui devrait toujours rendre compte de ce qu’il fait, et serait dans l’obligation de se soumettre ou de se démettre.

L’autre conception de l’élu avance masquée. Elle qui ne dit pas son nom, il faut pourtant l’appeler "légitimiste", qui fait du suffrage populaire la "vox dei", et dispose implicitement que l’élu a été choisi par une force supérieure dont nous n’aurons été que les intermédiaires. Ce député, ce conseiller ou ce ministre savent mieux que nous ce qu’il faut faire. Placé sous l’ombre de Capet et de la fiole de Reims, l’Elu ainsi conçu n’a de compte à rendre qu’à Dieu―ou, plus prosaïquement, aux nécessités imposées par la chose même : financement des retraites, dynamisme de l’économie nationale, qui exigeraient, là, le rallongement de la durée de travail, ici, les cadeaux faits à des Français si méritants qu’ils sont prêts à partir pour gagner quelques sous. Et taisez-vous si vous n’êtes pas d’accord.

C’est cette seconde conception de l’Elu qui s’est peu à peu répandue dans le corps malade de la démocratie représentative. Les Français, en accordant leurs suffrages, semblent toujours devoir renoncer à parler pour eux-mêmes afin de laisser d’autres parler à leur place. En particulier, au lieu de s’exprimer et d’agir au nom des Français, le Président agit et s’exprime au nom de ce qu’il estime être l’intérêt de la France, pays dont il serait l’intercesseur, seul initié aux secrets sibyllins qui règlent son Destin (et dont un séjour post-électoral sur un yacht lui aura sans doute délivré les délices cruels).

Mais il n’est pas le seul à concevoir l’élu comme au-dessus de la mêlée. Ainsi, dans une interview donnée à France Inter le 13 octobre dernier, un opposant aussi légitime à cet exercice solitaire du pouvoir que Dominique de Villepin (grand élu devant l’Eternel, mais devant lui seulement) n’hésitait pas à demander au président de "concéder" au Peuple un moratoire sur la deuxième partie de la réforme des retraites. Adressons nos suppliques au roi, qui les transmettra ensuite à Dieu, lequel, seul, nous gouverne.

La gauche n’a pas l’air de vouloir se pencher sérieusement sur la question démocratique. Le Premier socialiste porte pourtant le titre de Premier Secrétaire. Pourquoi avoir alors abandonné l’idéal de démocratie directe que le peuple de gauche devrait décidément placer à l’horizon de sa maturité ? Peuple d’enfants qui veut que l’on décide pour lui, et qui demande, naïvement, à ce qu’on aille voter comme on remplirait un devoir. Allez voter ! Libres à l’instant de mettre un bulletin dans l’urne, puis esclaves jusqu’à la prochaine fois. Autant vouloir aller gaiement se faire couper les cordes vocales.
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"Pour une politique d'autonomie culturelle", nouvelle Contribution du Club Changer la gauche



Le Club Changer la gauche a le plaisir de vous annoncer la parution de sa nouvelle Contribution, "Pour une politique d'autonomie culturelle".


Le Ministère de la Culture semble atteint d’un syndrome de citadelle assiégée. Syndrome que ne doivent pas dissimuler des chiffres encourageants : 5,5 millions de visiteurs à Versailles, l'exposition “ Picasso et les maîtres ” ouverte 24h sur 24, la Folle journée de Nantes qui affiche complet... Des chiffres dûs bien davantage à un dynamisme créatif qu'à une réelle volonté politique. La baisse des crédits, la réforme territoriale, la réorganisation du Ministère font en effet de la culture française une institution en perte de repères.


La gauche revenue au pouvoir devra enrayer cette crise latente en permettant un changement de cadre intellectuel, un retour de l’Etat dans la politique culturelle (lui seul permettant d’imposer une communion de vues sur tout le territoire) mais, surtout, le déplacement de l’attention du professionnel de la culture vers celui à qui elle s'adresse : le spectateur au sens large du terme.

I. Culture et égalité réelle



Selon une conception largement répandue de la culture, celle-ci, trop coûteuse et parfois “ inutile ”, serait à mettre à part de tous les autres aspects de la vie publique. La culture serait un domaine qui trouve sa fin en lui-même. Elle constituerait une sorte de supplément d'âme que l'urgence des problèmes sociaux et économiques abandonnerait au dernier rang des préoccupations.

La culture ne peut cependant pas être tenue pour le vernis d’autres politiques jugées plus sérieuses. Son rôle n'est pas seulement d'assurer à la France un “ rayonnement international ” aux contours mal définis.

Il existe, en effet, un lien direct entre l’amélioration de la démocratisation de la culture et la progression de la démocratie elle-même. En rendant chacun apte à mieux se connaître lui-même et à mieux saisir le sens du monde dans lequel il vit, la culture vient remplir une exigence fondamentale du citoyen mais aussi de l’homme au travail.

Une véritable politique culturelle devra donc jouer un rôle décisif dans l'établissement de l’égalité réelle que la gauche placera au centre de son programme en 2012. Ce changement de cadre intellectuel amènera la gauche à s’approcher davantage du spectateur, celui qui reçoit la culture, et non plus uniquement à s’intéresser aux acteurs de la culture à travers le soutien à la création et à la diffusion artistique.

Nous proposons que soit élaborée une “ politique d'autonomie culturelle ” qui s’inscrive dans le mouvement historique de démocratisation de la culture. Celle-ci consiste à rendre chaque citoyen autonome dans sa relation à la culture et donc à permettre à un public plus large d’avoir accès à des œuvres par ailleurs largement subventionnées.

Partons d’un constat simple : une barrière psychologique divise la société française face à la culture sans que les politiques culturelles menées successivement n’aient réussi à la réduire. Pour généraliser l'accès à la culture et faire tomber, on l’espère, définitivement, l’inégalité dans l’accès aux lieux de diffusion, il ne suffit pas pour l’Etat ou les collectivités de favoriser la création et de faire baisser les prix de l'accès à ces productions. Ces mesures doivent être complétées d’un effort réel pour que se créent, chez le citoyen lui-même, de nouvelles habitudes qui en fassent un promeneur régulier dans le champ de la culture.
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Pour une nouvelle convention-cadre des Nations Unies sur le changement climatique, par Henry J. Dicks



Reprenant en cela une analyse grammaticale, Emmanuel Lévinas effectue une distinction entre trois personnes: le Moi, l’infiniment Autre, et le tiers. Quelle relation existe-t-il entre ces trois personnes ? Lorsque le Moi se trouve face à l’infiniment Autre, il sera tenté d’agir de manière égoïste et donc de le réduire au même, selon l’expression de Lévinas. Si le Moi se comporte de façon éthique, il reconnaîtra son obligation infinie vers l’Autre et respectera donc son altérité. Cette situation originelle est compliquée par l'émergence d'un tiers. A partir de là, le Moi a aussi des obligations envers ce tiers, et c’est à ce moment que, selon Lévinas, commence la politique. Cette façon de comprendre l’éthique et la politique à partir des relations interpersonnelles peut nous aider à comprendre les problèmes les plus généraux concernant les négociations internationales sur le changement climatique.


A la suite de l’échec de Copenhague, tout le monde s’est fait mutuellement des reproches d’avoir bloqué un accord contraignant de réduction d’émissions. Il serait cependant naïf de dire que cet échec est la faute de la Chine, des États-Unis, ou de quelque autre pays ; si les négociations ont échoué, c’est en raison de la structure de la Convention-cadre des Nations Unies sur le changement climatique (CCNUCC). 

Cette convention-cadre, adoptée à Rio de Janeiro en 1992, dont l’accomplissement principal est le Protocole de Kyoto, divise le monde en deux ensembles : les pays développés (dits Annexe I) et les pays en développement (dits Non-Annexe I). Dans ce cadre, les pays BRIC (Brésil, Russie, Inde, et Chine) sont des pays en développement, au même titre que les pays les plus pauvres d’Afrique ou que les petits États insulaires les plus touchés par le changement climatique. Après vingt ans de croissance économique –en Chine et ailleurs– ce cadre n’a plus aujourd'hui de sens.
 
La conséquence de cet anachronisme est que les pays développés ont passé leur temps, pendant la Conférence de Copenhague, à contester la catégorisation de la Chine comme pays en développement, essayant, selon l’expression de Lévinas, de la "réduire au même", c’est-à-dire de la classifier comme un pays développé. La Chine, elle, s’est vivement attachée au statut de pays en développement que lui attribue le Protocole de Kyoto. La seule réponse qui permettra une résolution à cette impasse est de reconnaître que la Chine (comme les autres pays BRIC) n’est ni un pays développé au même titre que les États-Unis, ni un pays en développement au même titre que l’Éthiopie. Autrement dit, il faut abandonner la distinction binaire "développé/en développement" en faveur d’une approche qui reconnaît l’existence de trois parties distinctes, chacune ayant des responsabilités communes mais différenciées.

Cette approche peut se concevoir dans une perspective levinassienne : lorsque nous, les pays riches, négocions avec la Chine, nous avons un devoir absolu de lui laisser développer son économie et nous ne pouvons pas lui dire: "vous être est dans une situation similaire à la nôtre". Mais la présence d’un tiers complique cette situation et rend possible une solution politique ; nous avons également des responsabilités envers les pays les plus pauvres qui sont nullement dans la même situation que la Chine, et, uniquement pour cette raison-là, nous pouvons également demander des réductions d’émissions de la part de la Chine.

Une conclusion s’impose : il faut abandonner la CCNUCC en faveur d’une nouvelle convention-cadre qui divise le monde en trois parties et qui soit à la fois grammaticalement et politiquement correcte.



Henry J. Dicks

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Les chemins de l'enfer, par Matthieu Niango



Les médias ne sont plus libres en France : on ne tremble plus en l'écrivant car tout le monde le sait. Pseudopodes des grands groupes économiques, les journaux, la radio et la télévision, après avoir été muselés par les barons du monde de l'argent, l'ont été par ceux de la droite au pouvoir, en qui les premiers ont trouvé leur maître. On sait tout désormais des variations sur les amusements de la Cour, ou sur ses malheurs commandés, destinés à détourner l'attention des Français des vrais poblèmes. Quant à la presse d'opposition, elle n'est plus que l'ombre d'elle-même. Et Philippe Val, comme il était en lice pour devenir le patron de France Inter, d'avoir apporté à son possible protecteur la tête de Siné sur un plateau pour avoir critiqué le Prince...


On a pu également souligner toute l'adresse d'un gouvernement qui parvient parfois à insuffler le sentiment de scandale à l'opinion, quand, précisément, la presse fait œuvre utile, en dénonçant les manipulations du pouvoir. Le président et sa suite épousent les traits de l'indignation face à des journalistes qui ont le front de leur échapper. Afin de ne pas se salir les main, ils montent alors la foule contre eux.

On a pu notamment souligner la maestria du sarkozysme d'opinion après qu'un superbe article de Paris Match, daté de septembre 2008, avait relaté dans tous ses détails les véritables circonstances de l'attaque des soldats français en Afghanistan. Tout le monde poussa les hauts cris, entraîné par le ministre de la Défense Hervé Morin, face aux photos des talibans qui arboraient les montres et les chaînettes des Français morts au front...sans lire ici, comme il aurait fallu, une dénonciation des conditions d'action de ces jeunes gens sous-équipés et mal encadrés que l'armée venait d'envoyer à la mort. O ! Pays des libertés ! Où la presse est, selon Reporters sans frontières, classée 43ème sur 150 pour ce qui est de l'indépendance, juste derrière le Surinam et la Guyana !

De façon plus générale, la droite a bien travaillé pour rendre toute fictive la liberté d'expression. Formellement préservée, elle se heurte en réalité à l'impossibilité de dire du mal de ceux qui tiennent l'accès aux canaux de diffusion, canaux sans lesquelles une telle liberté demeure lettre morte. Parlez de ce que vous voulez devant votre télévision, commentez de la façon la plus acerbe le journal que vous lisez, ou votre livre de chevet, ou ce que le Monsieur dit à la radio ; mais ne comptez pas trop accéder à l'autre côté du mur qui vous renvoie le son de vos propres critiques...

Il faudra bien que la gauche, une fois revenue aux affaires, mette bon ordre dans ces collusions malsaines, en assurant l'indépendance des médias vis-à-vis du pouvoir politique et du pouvoir économique. Mais, pour l'heure, peut-on affirmer que l'opposition favorise réellement la liberté de dire ce que l'on veut ? A-t-elle toujours bien fait entendre la voix du parler franc quand une chappe de plomb descendait sur la plupart des langues ?


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Un gouvernement économique européen ?, par Pierre Haroche




Le Président de la Commission européenne, José Manuel Barroso veut pouvoir contrôler les budgets des Etats membres avant leur examen par les Parlements nationaux. La crise grecque a en effet montré que les choix budgétaires de chaque membre de la zone euro finissent par avoir un impact sur l’ensemble de leurs partenaires, et les Etats ont été obligés de se montrer solidaires en créant un fonds de stabilisation. Si les Européens sont solidaires dans les conséquences, n’est-il pas logique qu’ils le soient aussi dans les décisions initiales ?

Oui mais voilà, si l’idée générale de la Commission semble la suite logique de la réponse à la crise grecque, les modalités sont nettement plus contestables. En demandant un droit de contrôle sur les budgets nationaux, la Commission cherche à s’arroger un pouvoir important, sans contrôle ni contre-pouvoir. Non seulement elle se met à dos les Parlements nationaux censés voter les budgets, mais si son souhait était exaucé –ce qui est peu probable– c’est elle-même qui en souffrirait le plus. La Commission passe son temps à regretter "l’hypocrisie des gouvernements" qui prennent des décisions au niveau européen, puis refusent de les assumer devant leurs opinions publiques en disant : "C’est Bruxelles qui nous oblige". Mais qu’est-ce que cela serait si un ministre des finances devait demain se présenter devant son Parlement en disant : “La Commission européenne a censuré mon budget“ ? Dès qu’une question d’argent public serait soulevée –c'est-à-dire à peu près tous les jours– la Commission deviendrait le bouc-émissaire de tous les mécontentements, le père fouettard des peuples.

Cela signifie-t-il que nous devons en rester à de vagues tentatives de coordination des gouvernements nationaux sur une base non contraignante ? Nos intérêts politiques s’opposent-ils à nos intérêts économiques au point de nous interdire un vrai gouvernement économique européen ? Non, si l’on conserve le même objectif en adoptant une procédure plus souple. En amont de la préparation des budgets, un texte d’orientation budgétaire européen pourrait être adopté par le Conseil des ministres des finances et le Parlement européen. Ce texte inclurait les hypothèses et les orientations générales à prendre en compte par chaque Etat. Dans un deuxième temps, la Commission pourrait être chargée de contrôler le respect de ces engagements dans les avant-projets de budgets. Cette solution aurait l’avantage d’impliquer non seulement les parlementaires nationaux, qui pourraient contrôler la position de leur ministre au stade des débats d’orientation budgétaire, mais aussi les parlementaires européens. Le spectre de la technocratie serait écarté et la Commission s’en tiendrait à un strict rôle d’exécutant. A terme, la Commission ne pourra vraiment peser sur la définition d’une politique budgétaire européenne qu’à condition d’être issue du suffrage universel.

Le parlementarisme est né en Europe et en Amérique sur une transaction en forme de slogan : "Pas de taxation sans représentation !" C’est l’esprit de cette transaction qu’il s’agit de retrouver aujourd’hui : “Pas de contrainte budgétaire sans délibération !“


Pierre Haroche

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Les oubliés, par Pierre Haroche



Le 8 mai dernier, le Président Sarkozy a commémoré la victoire de 1945 à Colmar en rendant un hommage particulier aux "malgré nous", ces Alsaciens et Mosellans incorporés de force dans l'armée allemande. L’année dernière, c’était le tour des “oubliés de la République“, les soldats coloniaux venus d’Afrique, d’être distingués le 8 mai, dans la lignée du film Indigènes. Il semble ainsi que le Président ait choisi d’instaurer une tradition de commémorations catégorielles, prenant en charge la mémoire de groupes longtemps négligés par les cérémonies officielles.


Il existe pourtant un groupe systématiquement oublié des commémorations. Un groupe qui a chèrement payé le prix de la lutte contre le nazisme et pour lequel aucun porte-parole ne revendique un "hommage particulier". Un groupe refoulé de la mémoire collective au point que personne ne pense à s’en émouvoir. Ce groupe, ce sont les 5 millions de Français mobilisés en 1940, dont 90 000 ont été tués pendant la campagne de France, et près de 2 millions ont été internés dans des camps de prisonniers en Allemagne. La République a toujours célébré les résistants, les forces françaises libres, les alliés débarqués en 1944, mais jamais les soldats de 1940. Les "poilus" de 14-18 ont été maintes fois honorés et leurs témoignages ont été recueillis avec soin. A l’inverse la mémoire des soldats de 1940 semble toujours un sujet tabou. Comme si une convention tacite voulait qu’on ne commémore que les vainqueurs et qu’on oublie les vaincus. Comme si ces combattants n’avaient pas fait preuve d’autant de courage et de sacrifice que les autres. Comme si soixante-dix ans après, il fallait encore leur faire payer leur défaite en les effaçant de la mémoire nationale.

Contrairement à ce que laissent entendre les mythes rétrospectifs, ces hommes n’ont pas refusé de se battre, ils ne se sont pas rendus en masse et la campagne de France n’a rien eu d’une promenade pour l’armée allemande. Ces hommes se sont battus, parfois avec acharnement, comme au village de Stonne, dans les Ardennes, pris et repris dix-sept fois en quatre jours. Et ils ont été les victimes d’une défaite dont les causes n’avaient rien à voir avec leurs mérites individuels. Mourir pour la victoire est un acte héroïque. Mourir dans l’humiliation et la culpabilité de la défaite, mourir en laissant son pays, sa famille, ses amis aux mains de l’occupant est une tragédie bien plus terrible encore et qui mérite un hommage.

Ernest Renan a dit de la Nation : "Avoir souffert ensemble : oui, la souffrance en commun unit plus que la joie". Réhabiliter les oubliés de 1940 serait une preuve de maturité de la conscience nationale bien plus forte et constructive que le calamiteux débat sur l’identité nationale que nous a offert le gouvernement. Espérons qu’un jour, un Président de la République aura enfin le courage de dire : "Honneur aux vaincus".



Pierre Haroche

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Universités et entreprises: quel contrat de mariage ?, par Damien I.



Rapprocher l’université des entreprises est une idée simple et séduisante. En ajustant les formations universitaires au plus près des besoins des entreprises, on augmenterait les chances des jeunes diplômés de trouver un emploi rapidement. D’où la volonté de faire participer les entreprises au monde universitaire, en les associant aux organes de direction des universités ou à la conception des programmes. La conception sous-jacente est que les universités ne répondent plus, par les savoirs qu’elles délivrent, aux besoins de l’économie, et c’est ce "décalage" qui expliquerait les difficultés des jeunes diplômés à accéder à l’emploi. On serait alors tenté de se débarrasser des disciplines qui semblent les plus éloignées du "monde de l’entreprise", pour se recentrer sur les savoirs directement utiles, notamment la gestion.


Rapprocher université et entreprises n’est ni bon ni mauvais en soi, et tout dépend des mesures concrètes qui sont prises pour mettre en oeuvre ce slogan. Méfions-nous notamment de son interprétation la plus courante, parce qu’elle est naïve et parce qu’elle ne n’intègre pas le fait que nous vivons dans un monde qui évolue de plus en plus rapidement.

*****

1/ La naïveté serait de croire que les entreprises inciteront les universités à délivrer des enseignements qui sont, à long terme, bénéfiques aux étudiants. Posséder des savoirs techniques (comptabilité, gestion, logistique) facilite en effet l’accès au premier emploi. Mais ce sont les savoirs généraux qui permettent ensuite de gravir les échelons dans les entreprises. Or, il est probable que les entreprises insistent plus sur les savoirs techniques que sur les savoirs généraux, qui sont moins clairement identifiés et identifiables.

Les qualités d’écriture, de présentation, d’expression, de communication des idées, mais aussi la culture générale et la capacité d’analyse, ne sont pas essentielles en début de carrière. Elles sont cependant nécessaires pour progresser dans l’entreprise et pour accéder à des postes à responsabilité. A l’échelle d’une carrière, des savoirs trop spécialisés sont utiles à court terme mais insuffisants à moyen terme, et l’individu risque de voir ses perspectives se restreindre s’il n’a pas bénéficié d’enseignements généraux et théoriques, lettres, histoire ou mathématiques. Le rapprochement entre université et entreprise ne devrait donc pas se faire au détriment des disciplines qui semblent les moins directement liées à l’entreprise.

2/ Le fait que nous vivions dans un monde qui change rapidement s’explique simplement : les centres d’innovation se multiplient et l’économie devient plus compétitive, notamment parce que de nouveaux acteurs émergent et parce que les barrières au commerce international sont en constante diminution. Dans un tel contexte, les produits et les méthodes de production les moins innovants et les moins rentables ne peuvent pas subsister longtemps, et les entreprises comme les travailleurs doivent se donner les moyens de s’adapter à un rythme soutenu.

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La paix passera par les intellectuels, par Manon Garcia



Cette semaine devait se tenir au Centre français de culture et de coopération du Caire le festival "Les Rencontres de l’image". Cette manifestation visait à réunir les films de jeunes réalisateurs égyptiens et français. Conçue comme une fenêtre sur ces deux civilisations, elle devait permettre à ces artistes de se découvrir, de débattre, d’apprendre les uns des autres. Parmi les films sélectionnés par le centre culturel, le court-métrage de Keren Ben Rafael, élève de la Femis, grande école de cinéma française. Seulement voilà, Keren Ben Rafael est israélienne. Elle a fait ses études en France, elle vit en France, son film a été produit en France mais elle est de nationalité israélienne, l’action de son film se déroule en Israël et, comme toute jeune Israélienne, elle a fait son service militaire.


La semaine dernière, un réalisateur égyptien, Ahmed Atef, juré du festival, a décidé de démissionner pour protester contre la présence du film de cette réalisatrice. Il a été suivi par d’autres collègues. Le Quai d’Orsay a, tout d’abord, accepté de retirer le film incriminé et s’est ensuite ravisé, ouvrant la porte à une contestation de grande ampleur dans le monde du cinéma égyptien. Les intellectuels, qui ont depuis décidé de retirer les films égyptiens de la compétition et de boycotter les rencontres, accusent l’Etat français de vouloir forcer une "normalisation culturelle" qu’ils rejettent avec l’Etat hébreu.

Les accords de Camp David, instaurant la paix entre Israël et l’Egypte, ont fêté la semaine dernière leur trente-et-unième anniversaire. Chaque semaine, le président égyptien, Hosni Moubarak, dialogue avec les hommes politiques israéliens. L’Egypte fournit la majeure partie des hydrocarbures israéliens, la coopération agricole est intense… Et pourtant, les intellectuels et artistes égyptiens, dans leur majorité, refusent ce qu’ils appellent la "normalisation culturelle". Il est presque impossible pour les Egyptiens d’avoir accès à la culture israélienne et bien des artistes égyptiens refusent, contraints ou non, l’accès des Israéliens à leurs œuvres. La méfiance du monde culturel égyptien à l’égard de l’Etat hébreu avait d’ailleurs connu une publicité toute particulière lorsque Farouk Hosni, ministre de la Culture égyptien indéboulonnable depuis plus de vingt ans, avait décrété en 2008 qu’il était prêt à "brûler lui-même des livres israéliens s’il en trouvait dans les bibliothèques égyptiennes", propos qui expliquent sans doute en partie l’échec de sa candidature à la direction générale de l’Unesco.

Aujourd’hui, la position de ces intellectuels et de ces artistes semble absurde: si une chose est claire, de part et d’autre des frontières et des murs de séparation, c’est qu’il faut bâtir la paix au Proche-Orient, une paix qui passera par la construction et la reconnaissance le plus rapidement possible d’un Etat palestinien. Depuis soixante ans, la politique et la diplomatie ont montré leurs limites. Aujourd’hui, seule la société civile parviendra à faire émerger la paix. Plus que jamais, il faut favoriser le dialogue, l’échange, les initiatives communes. Et les artistes devraient être les précurseurs de cette paix future. Traditionnellement, ce sont eux qui ont été à la pointe du combat pacifiste, que ce soit pendant les deux guerres mondiales ou pendant la Guerre froide. C’est dans ce sens que la position de ces cinéastes égyptiens est grotesque. Refuser le dialogue avec le cinéma israélien aujourd’hui semble d’autant plus incompréhensible que nombre de réalisateurs représentent bien ce que l’on appelle "l’autre Israël", cette société parfois invisible de l’extérieur qui se bat au quotidien contre la colonisation, contre les violences quotidiennes infligées aux Palestiniens, et pour la paix, pour une paix juste et durable. Que penserait-on d’un pays qui refuserait de montrer les films d’Abbas Kiarostami, réalisateur iranien qui s’est vu décerner la Palme d’or au Festival de Cannes en 1997, au motif qu’il vient d’un pays misogyne, autoritaire et antisémite ?

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Question de tactique, par Pierre Haroche



Rassembler pour gagner. Voilà un adage des plus récurrents et apparemment des plus évidents de notre vie politique. C’est en l’appliquant que Chirac puis Sarkozy ont conquis le pouvoir, grâce au rouleau compresseur de l’unité de la droite que constitue l’UMP. C’est en échouant à l’appliquer que la gauche et le PS ont connu défaite sur défaite, incapables de dépasser les querelles internes.


Oui, mais voilà, les dernières élections régionales sont venues mettre à mal ce bon sens apparent. D’un côté, la droite rassemblée dans des listes uniques dès le premier tour, de Jean-Marie Bockel à Philippe de Villiers, s’est retrouvée sans réserve de voix au second tour. De l’autre la gauche, partie en ordre dispersé, a proposé aux Français une offre suffisamment diversifiée pour ratisser large, du Front de Gauche à Europe Ecologie, en passant par le PS, et a atteint un niveau historique par l’addition de ses forces au second tour. La victoire par la diversité : serait-ce le nouveau slogan à la mode ?

Bien entendu, personne n’a jamais pensé qu’une élection se jouait uniquement sur des choix tactiques. Mais cet exemple est une bonne occasion de s’interroger sur leur valeur réelle, toutes choses étant égales par ailleurs, et d’en tirer des enseignements pour la suite.

Tentons d’inverser les données du problème. Et si le rassemblement n’était pas la condition mais le produit de la victoire ? Et si l’éclatement n’était pas la cause mais le symptôme de la défaite ? L’unité de la droite s’est en effet construite à partir de ses succès présidentiels (l’UMP était au départ l’Union pour la majorité présidentielle), car face à un Président fort, les opposants internes n’ont que le choix entre le ralliement et la marginalité. Par un mouvement mécanique aussi simple, ce sont les défaites de la gauche qui, par l’appel d’air que crée un leadership faible, ont légitimé toutes les compétitions internes.

Et que voit-on aujourd’hui ? Dominique de Villepin s’apprête à fonder un nouveau parti pour offrir une alternative à droite. Le dernier remaniement ministériel tente de colmater les brèches en rappelant en hâte les proscrits d’hier, notamment François Baroin le chiraquien et Georges Tron le villepiniste. Bref, la défaite a relancé à droite ce qui était réputé être une exception culturelle de la gauche : les manœuvres d’appareil.

Quelle leçon en tirer ? Préconiser la tactique du rassemblement ou la tactique de la diversité n’a que peu de sens, tout simplement parce que ce ne sont pas des tactiques, mais des reflets du rapport de force. Poser des clivages, construire des majorités en s’appuyant sur des projets, voilà les vraies tactiques. Le rassemblement des ambitions et des appareils quant à lui viendra toujours au secours d’une dynamique victorieuse.

Lao Tseu l’a dit : « Seul le sage montre l’étoile. L’imbécile regarde le doigt. »



Pierre Haroche

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Justice pénale: assumons le clivage !, par Mathias Chichportich et Julien Jeanneney

Tribune publiée dans le Nouvel Observateur daté du 4 février.


C'est l'un des grands débats que connaît l'institution judiciaire, c'est un véritable défi pour la gauche. Certains estiment que les clivages politiques perdent de leur vigueur. Consolons-nous. Autour du projet de loi préparé par la garde des Sceaux, qui dit vouloir "réécrire le Code de Procédure pénale", ce sont deux visions de la société qui s'affrontent.

En matière judiciaire, la gauche est dépositaire d'une tradition ancienne, constituée au fil de longs combats. C'est celle des révolutionnaires de 1789 qui, imprégnés de la pensée de Beccaria, ne conçoivent plus la sanction pénale comme l'expression d'un pouvoir souverain arbitraire, mais comme celle de la collectivité rassemblée autour d'un pacte social. C'est celle de Victor Hugo, lorsqu'il oppose aux lois de la Seconde République, devenue conservatrice, le caractère intrinsèquement juste du droit, idéal qu'il faut sans cesse chercher à atteindre. Mais c'est également celle de Jaurès ou de Clemenceau, pour qui la défense de la nation ne vaut pas le sacrifice d'un Dreyfus innocent, l'idée universelle de justice surpassant toutes les raisons d'Etat.

Sans doute les différentes familles politiques de la droite ont-elles aujourd'hui rallié une partie de cet héritage. Il n'empêche. Jusqu'alors, la droite classique se concentrait sur l'aspect punitif de la justice pénale, privilégiant la répression aux dépens de la réinsertion, la recherche de la responsabilité individuelle aux dépens de la lutte contre les causes sociales de la délinquance. Flattant son électorat, elle pénalisait de plus en plus de comportements, mais ne touchait pas aux principes essentiels de la procédure.

Depuis 2007, son projet a pris une dimension tout autre. En s'armant d'un discours qui instrumentalise l'émotion, certes légitime, suscitée par le sort des victimes, la droite nous conduit vers une privatisation insidieuse de la justice pénale. A la répression d'un comportement incriminé au nom de valeurs protégées par la société, elle substitue progressivement la réparation de la souffrance des seuls individus.

En amont, s'éloignant de l'idée de loi conçue comme une expression de la volonté générale au service de l'intérêt commun, elle privilégie une logique de marchandage. L'extension programmée, en matière criminelle, du "plaider-coupable" d'inspiration anglo-saxonne, en est la marque. La recherche de la vérité est sacrifiée au profit d'une négociation entre la défense et le juge.

Au stade du jugement, l'actuelle majorité attribue à la victime un rôle démesuré dans le procès pénal. Un exemple : depuis février 2008, il est possible de faire comparaître des aliénés mentaux devant un tribunal, bien qu'ils ne puissent pas être sanctionnés pénalement. Le procès n'est alors plus rien d'autre qu'une mise en scène sans effet, entièrement tournée vers la douleur de la victime.
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