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François Fillon, historien marxiste, appelle à la révolte, par Guillaume Calafat

Fillon


L’Histoire, l’Histoire, Mesdames et Messieurs les députés, avance souvent plus vite que la diplomatie".


C’est par ces mots prononcés sur un ton sentencieux à l’Assemblée Nationale, dans la première séance de questions aux gouvernements du 18 janvier, que François Fillon a introduit son discours visant à soutenir la ministre des Affaires Étrangères et ministre d’État. Le premier ministre s’avance à la tribune à la place de Michèle Alliot-Marie pour répondre à une question posée par le président du groupe socialiste à l’Assemblée, Jean-Marc Ayrault, qui demande pour quels motifs la ministre des Affaires Étrangères avait étrangement proposé de mettre au service de Ben Ali le «‘savoir-faire’ français en matière de sécurité » au plus fort des manifestations en Tunisie. François Fillon ne répond pas vraiment à la question ; très certainement pour honorer la mémoire de son irréprochable « mentor » Philippe Séguin, il rappelle que Lionel Jospin en 1997 ou Dominique Strauss-Kahn en 2008 avaient eu des mots positifs à propos des autorités tunisiennes, il félicite ensuite les Tunisiens et blâme finalement les socialistes qui soutiennent Gbagbo.

Passons sur cela, et concentrons-nous sur la partie liminaire du discours du Premier Ministre qui propose une double définition de l’histoire et de la diplomatie, sur laquelle il convient de s’arrêter. À vrai dire, lorsque l’on écoute François Fillon, on ne comprend pas bien ce qu’il entend par « l’Histoire avance souvent plus vite que la diplomatie ». Heureusement, il précise ensuite que « nous [sans doute les hommes politiques] avons fait collectivement l’expérience de cela lors de la chute de l’Union soviétique et de la réunification allemande. La Révolution tunisienne, d’une certaine façon, nous le rappelle ».

En clair, et pour le dire crûment, nos diplomates n’ont pas du tout anticipé ce qui allait se passer en URSS, en Allemagne et en Tunisie, et ont été dans ces trois cas complètement dépassés par les événements. C’est, en creux, ce que disait Alain Juppé quelques jours plus tôt, qui expliquait que les « pays occidentaux » avaient « sous-estimé le degré d’exaspération de l’opinion publique face à un régime policier ».

Cependant, si l’on se penche sur la phrase de François Fillon, on se rend compte qu’il y a bien plus qu’un aveu de faiblesse des chancelleries occidentales. L’Histoire et la diplomatie auraient une « vitesse » et viseraient à un but commun malgré des temporalités différenciées. Un but qui, en l’espèce appliqué au cas tunisien, coïncide avec une demande d’amélioration des conditions de vie dans le pays, ainsi qu’avec l’obtention de certaines libertés fondamentales.

Cette vision dynamique de l’Histoire est intéressante : elle suppose que les manifestations, les mouvements de contestation sont le moteur du changement politique ; elle suppose également que les revendications manifestées par le peuple dans la rue sont non seulement un moteur, mais encore un accélérateur de « l’Histoire », synonyme ici de progrès et d’émancipation. C’est donc le peuple, la rue qui fait avancer l’Histoire, une idée marxienne, pour ne pas dire marxiste, que l’on peut être étonné de trouver formulée par un Premier ministre qui n’a, du moins à ma connaissance, jamais montré d’inclination particulière pour la lutte des classes.

Mais venons-en à la « diplomatie » qui, dans la phrase de François Fillon, semble avoir une acception assez large ; car, sauf à idéaliser les relations internationales, il semble assez peu courant d’associer la diplomatie aux mouvements d’émancipation et de liberté des peuples. Le maintien des relations cordiales entre États passe, au contraire, et ce très souvent, par des voiles pudiques jetés sur des conceptions différentes des droits individuels et collectifs. En ce sens, « être diplomate », c’est aussi « faire avec » ; la diplomatie est donc bien souvent associée à une certaine inertie « realpoliticienne ». De quelle « diplomatie » parle donc notre Premier ministre ?

La réponse est sans doute à chercher dans une interview très explicite d’Alain Juppé, le 25 juin 1995, dans l’émission Géopolitis, sur France 2. Interrogé à propos de la Bosnie, le journaliste demande au nouveau Premier ministre Juppé :
« Votre expérience d’homme politique, votre expérience au Quai d’Orsay, votre fonction aujourd’hui, vous conduisent-elles à penser que la phrase suivante est juste : ‘Que l’Histoire va plus vite que la diplomatie et qu’au fond les peuples créent souvent les exemples et qu’ensuite les politiques suivent’ ? »

Alain Juppé prononce alors ces mots lourds de sens :

« Sûrement. Le thème de réflexion, c’est continuité ou rupture dans la diplomatie française mais le vrai sujet, c’est continuité ou rupture dans la réalité du monde. Ce qui s’est passé, prenez en 1989, c’est cela qui commande l’événement. Ce sont les peuples et pas les chancelleries qui font l’Histoire, on le sait depuis longtemps ».

Alain Juppé et François Fillon soutiennent dans un même élan que ce « sont les peuples qui font l’Histoire », et pas les appareils d’État, les diplomates, les ministères des affaires étrangères, voire les hommes politiques. Cette modestie de nos deux leaders maximi apparaît ainsi comme un véritable appel à l’organisation de mouvements populaires pour faire avancer le cours des événements, le progrès social et la liberté ; reste à savoir pour quelle raison ces deux premiers ministres, face aux mouvements sociaux dans notre pays, ont toujours considéré que l’Histoire était terminée.



Guillaume Calafat

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